Séance plénière du Conseil Départemental du Finistère
Intervention Politique Personnes âgées/ Commission de l’action sociale – Ismaël Dupont
22 juin 2023
Bonjour à toutes et tous,
Le financement de la perte d’autonomie des personnes âgées correspond à 1/6 environ des dépenses du budget départemental. Donner et trouver les moyens pour une prise en charge la plus humaine et bien-traitante possible des personnes âgées en perte d’autonomie en structures ou à domicile fait partie des responsabilités fortes de notre collectivité.
Convenons-en d’abord, l’augmentation de l’espérance de vie moyenne de la population est une chance, un progrès spectaculaire à l’échelle historique, un acquis lié à la sécurité sociale, à la richesse globale de notre société, aux conditions de vie et au pouvoir d’achat des retraités, aux évolutions de la prise en charge médicale, aux progrès de la science, de la prévention.
Des personnes âgées qui vivent plus longtemps, c’est le signe d’une société scientifiquement, médicalement et matériellement développée, mais aussi + solidaire et égalitaire socialement et économiquement.
Néanmoins, ces progrès sont réversibles, et comme souvent, ne sont pas sans poser d’autres problèmes et soulever d’autres défis comme le financement de la Sécurité sociale et de la solidarité inter-générationnelle quand dans une population il y a proportionnellement moins de jeunes et d’actifs, ou la prise en charge de la perte d’autonomie des personnes et des problèmes médicaux.
Réversibles car le recul de l’âge de départ à la retraite par exemple, les crises écologiques, climatiques, sanitaires, les crises économiques et de solidarité font que la tendance peut toujours s’inverser, comme on l’a vu aux États-Unis ces dernières années, qui ont déjà une espérance de vie moins élevée qu’en France du fait du caractère + inégalitaire du pays et de son accès à la santé et à la protection sociale. En 2016, l’espérance de vie en France atteint 85,3 ans pour les femmes et 79,3 ans pour les hommes. Selon le Centre de prévention et de lutte contre les maladies (CDC), une personne née aux États-Unis en 2021 a actuellement une espérance de vie de 76,1 ans. En additionnant les reculs de 2020 et de 2021, cela fait un total de 2,7 années de moins, le plus gros déclin en un siècle.
Aujourd’hui, c’est tout le secteur de l’accompagnement du vieillissement, des personnes âgés et de la prise en charge des personnes âgées en perte d’autonomie qui est en tension, et au bord de la rupture faute d’une anticipation des difficultés par l’État et les pouvoirs publics, malgré tous les et de la construction de solutions de financement pérennes et solidaires.
Le secteur des personnes âgées souffre depuis trop longtemps d’une forme de délaissement et de sous-investissement de la part des pouvoirs publics.
Les milliards attendus pour consolider le secteur, les EHPAD publics et à but non lucratif, les services d’aide à domicile, et renforcer et élargir les missions de la Sécurité Sociale universelle pour garantir à tous le droit à l’autonomie, se font attendre.
On ne peut que s’insurger, quand on voit les conséquences pour le quotidien de millions de personnes âgées, et de professionnels du secteur, sur la faiblesse des politiques publiques en matière d’accompagnement des personnes en perte d’autonomie. Le gouvernement avait annoncé une grande loi pour l’autonomie dès 2017, qu’il a repoussée d’année en année et, finalement, passé à la trappe.
Bernard Gouadec l’a dit – Selon l’Insee, les Français en perte d’autonomie du fait du vieillissement de la population passeront de 2,5 millions à quatre millions d’ici 2050. 100 000 Finistériens ont plus de 75 ans aujourd’hui, ils seront plus de 200 000 en 2050 selon les prospectives.
Sur 16 millions de retraités, 2,2 millions ont 85 ans ou +. C’est l’âge moyen d’accès aux EHPAD. 548 000 de ces + 85 ans entreront en EHPAD pendant 3 ans et demi en moyenne. Les résidents en EHPAD cumulent en moyenne 8 pathologies. 9/10 présentent des affections neuro-psychatriques acquises pendant leur activité.
Aucun gouvernement n’en a tiré la conséquence que ces dépenses relèvent bien de l’assurance maladie. Le financement péréenne du Droit à l’autonomie, et de la prise en charge de la perte d’autonomie, devrait à notre sens dépendre de la Sécurité Sociale.
Dans le cadre de la loi de Finances de la Sécurité Sociale 2022, le gouvernement refuse de mettre un budget conséquent pour que les personnes âgées puissent vivre dans le respect et la dignité dans les EHPAD, pour alléger les souffrances des personnels et de nombreuses personnes âgées en EHPAD.
Pas moins de six rapports commandés ces deux dernières années ont mis en lumière les moyens à mettre en œuvre. Le rapport Libault de 2019 chiffrait à neuf milliards d’euros les financements nécessaires d’ici à 2024 et jusqu’à 2030. On est loin du compte.
Les dépenses publiques pour les personnes âgées et en situation de handicap ne sont en fait augmentées de manière très insuffisante pour faire face à l’inflation et aux premiers efforts de revalorisation des rémunérations des personnels pour tenter de compenser la perte d’attractivité des métiers et les difficultés de recrutement.
Au niveau des EHPAD du Finistère, à grande majorité des EHPAD à but non lucratif, qu’ils soient de statut public, communal ou hospitalier, ou hospitalier, la situation est vraiment difficile aujourd’hui sur le plan financier.
Si au niveau national 75 % des EHPAD sont en déficit, au niveau départemental la situation est également très tendue sur le plan financier.
Cela s’explique par plusieurs facteurs :
– l’impact de l’inflation, de l’explosion des prix de l’énergie, diversement ressentie en fonction des contrats, mais qui malgré le bouclier tarifaire, et les versements reversés rétroactivement, se traduit par un reste à charge.
– mais surtout les difficultés de recrutement et l’impact des coûts liés à l’intérim des personnels médicaux : par exemple, à l’EHPAD de la Boissière à Morlaix, le déficit provoqué principalement par le coût de l’intérim médical est de l’ordre de plusieurs dizaines de milliers d’euros ces 6 premiers mois. C’est la deuxième année de déficit.
On subit aujourd’hui très fortement et violemment l’impact de l’épuisement des personnels médicaux et du secteur médico-social, lié à des conditions de travail dégradées. Les démissions d’infirmiers et d’infirmières sont légion.
La réforme de ParcoursSup et du mode de recrutement des IFSI a également été catastrophique sur le recrutement des infirmières et des infirmiers. Il y a beaucoup plus de démissions en route.
Les EHPAD reçoivent de moins en en moins de CV à la sortie d’école, peine à recruter sur des contrats stables ou même de courte durée des infirmiers et des aides-soignants.
Il est nécessaire que l’État repense toute la problématique de la formation-des conditions de travail et de reconnaissance des personnels du secteur médical et médico-social.
L’attractivité de l’intérim pour les personnels qui pourraient sans peine trouver des contrats de travail durables est aussi un vrai problème : à l’EHPAD municipal de Morlaix, un poste d’infirmier en intérim nous coûte 8500 euros, un poste d’infirmier en CDI nous coûte 3500 euros en salaire chargé.
Il devient urgent de légiférer sur le sujet de l’intérim si on ne veut pas renforcer les difficultés financières des EHPAD et des établissements médico-sociaux.
L’augmentation des taux directeurs pour le forfait hébergement dans les EHPAD était une bonne chose, pour faire face à leurs problématiques financières.
Mais ce n’est pas encore suffisant dans le contexte actuel.
Et pourtant les EHPAD sont pris entre le marteau et l’enclume, entre des jeux de contraintes contradictoires car dans de nombreuses structures, c’est le cas sur le pays de Morlaix, les tarifications pour les usagers et leurs familles augmentent fortement ces dernières années, surtout quand il y a eu des travaux ces derniers mois dans les structures pour améliorer le confort des résidents.
Par exemple à l’EHPAD de la Boissière on est passé de 1600€ à 2200€ / mois en 10 ans. C’est beaucoup pour des petites retraites et les familles des résidents.
Ces difficultés financières sont aussi celles des structures médicaux sociales : près de 3 à 4 millions d’€ de déficit attendu pour les Genêts d’Or en 2023, 1, 5 millions d’euros en 2022, 1,6 millions d’euros de déficit pour Don Bosco (1000 ETP). Là aussi l’augmentation du taux directeur de 1,5 % à 3,5 % décidé par le département ne compense qu’à 50 % l’impact financier lié aux revalorisations des personnels à l’issue de la crise sanitaire liées au Segur, de l’inflation et des dépenses d’intérim.
Les Genêts d’Or – association vieille de 60 ans, 2400 personnes accompagnées, + 1500 professionnels, jeunes, adultes porteurs de handicap, personnes âgées en perte d’autonomie – atteste d’un déficit de 2 millions d’€ lié à des compensations insuffisantes du département.
L’impact immédiat, renoncement sur le moment et report de certains investissements pour améliorer le confort de structures d’accueil pour les personnes porteuses de handicap.
L’emploi associatif représente 10,5 % de l’emploi salarié de l’ensemble du secteur privé du département. Il y a de vrais risques de mise en péril de ces structures qui sont au cœur des compétences centrales du département – personnes âgées/ personnes handicapées – sans solution de rechanges.
Le département ne pourra pas compenser la totalité de ces difficultés financières sur fonds propre mais il doit prendre sa part et aussi peser très fort pour faire bouger les lignes sur le plan du volontarisme de l’État dans le domaine de l’accompagnement et de l’aide à l’autonomie des personnes âgées et des personnes handicapées.