Quels sont, pour vous, les grands enseignements des élections européennes ?
Emmanuel Macron, après avoir siphonné les voix du PS en 2017, siphonne celle de la droite en 2019 et réussit à imposer son parti dans le paysage politique en faisant de l’extrême droite son vrai-faux adversaire. Nos concitoyens ne pourraient plus faire autrement que de choisir entre l’extrême droite et le libéralisme à la sauce américaine. C’est terrible comme situation politique, parce que les forces progressistes sont diminuées. Qu’elles soient unies ou non, elles sont affaiblies.
Les Français, à 50 %, sont restés chez eux et ne sont pas allés voter. Le Rassemblement national et Macron font chacun 5,5 millions de voix, quand 22 millions de Français ne sont pas déplacés pour aller mettre un bulletin dans l’urne. Je dénonce l’hypocrisie et la complicité de ces ultralibéraux au service de la finance qui prennent le risque de faire basculer notre pays et de le livrer à l’extrême droite. Les députés En marche ! se présentent comme un rempart contre l’extrême droite, dénoncent les dangers que représente le RN pour notre pays, mais dans les couloirs de l’Assemblée ou sur les plateaux télé, s’embrassent et cultivent leur complicité. Le RN et LaREM ont besoin l’un de l’autre. C’est extrêmement inquiétant.
Il y a aussi la politique menée par Macron…
Au lendemain de l’élection, nous tombent dessus en trois jours : la vente de Renault aux italiens ; l’annonce du plan social à Belfort ; et la liquidation de Whirlpool à Amiens. Évidemment que ça favorise la colère, la haine envers les puissants et les responsables politiques. Sauf que, aujourd’hui, la colère s’exprime avec un bulletin de vote RN. L’affaire General Electric est grave. Qu’il ne nous dise pas qu’il ne savait pas ! Macron a dit à son ancien conseiller, qui en est le directeur général, « attends la fin des élections pour annoncer le plan social ». Ça se voit comme le nez au milieu de la figure. C’est corruption et complicités ! Ce n’est pas l’impuissance de l’État que je dénonce mais sa complicité.
Comment interprétez-vous le score décevant du PCF ?
Le principal enseignement, c’est que, lorsque les Français sont en colère, ils utilisent le bulletin RN et non celui de la gauche ou du Parti communiste. Nous devons faire l’analyse de cette situation. Comment construire les conditions pour recréer l’espoir pour que, demain, nous, la gauche, soyons la solution. Une gauche anticapitaliste, une gauche qui s’attaque au modèle économique. Une gauche qui remet en cause les logiques économiques actuelles.
Dans cette campagne, nous avons réussi à mobiliser les militants. Nous avons réussi à convaincre des soutiens très divers au-delà des rangs du Parti communiste. Beaucoup de responsables syndicaux, d’intellectuels se tournent de nouveau vers nous. Nous disposons d’une force qui est là, qui est riche et diverse. De plus en plus de gens croient, comme nous, qu’il faut profondément changer de modèle économique. C’est un acquis important de cette campagne que nous devons à notre présence à cette élection. Mais force est de constater que nous ne sommes ni rentrés dans le cœur des quartiers populaires, ni dans celui des ouvriers, des employés, des familles qui n’arrivent plus à vivre avec moins de 2 000 euros.
Pourquoi est-ce dans les catégories sociales les moins aisées que nous faisons le moins de voix ? Nous devons comprendre pourquoi et résoudre ce problème. Nous devons aller parler aux abstentionnistes et à ceux qui utilisent un autre bulletin que le nôtre, pour leur dire que c’est le système qu’il faut changer en profondeur et que le Parti communiste apporte des réponses. Il faut que l’on redevienne une force politique qui parle prioritairement au monde du travail, aux classes populaires, aux salariés, aux employés et plus globalement à tous les exploités, qu’ils en aient conscience ou pas. Le plaisir fut grand de mener cette campagne. Nous avons été fiers d’utiliser le vote communiste pour exprimer ces idées, d’aller convaincre. Maintenant, allons plus loin.
Macron veut installer le clivage « progressistes contre populistes », le RN joue les « mondialistes contre les souverainistes », la France insoumise oppose le « peuple » et l’« oligarchie », n’est ce pas la preuve que le clivage gauche-droite est dépassé ?
Je pense qu’il faut redonner du sens à ce clivage-là. Quelle gauche ? La question fondamentale, c’est comment réussir à reprendre le pouvoir sur la finance ? Les financiers et ceux qui défendent le capital agitent toutes les peurs : celle de l’extrême droite, celle de l’étranger, celle de l’avenir de la planète… Certaines de ces problématiques sont légitimes mais on ne peut pas les dépasser sans jamais remettre en cause le système. C’est donc là le cœur de la question qui est posée à la gauche. Est-ce qu’on peut trouver des points d’accord pour commencer à remettre en cause les fondements de ce système économique ?
Autrement dit remettre du contenu de classe dans le clivage gauche-droite ?
La gauche doit prendre conscience, et nous avec, que les capitalistes sont très forts. Ils ont gagné une manche ces dernières années. Nous devons l’analyser lucidement, nous mettre autour de la table et nous poser la question de comment reprendre la main. Je n’ai pas la prétention aujourd’hui d’avoir la réponse seul. Mais il faut avoir cette humilité-là. Ce que je sais, c’est que nous sommes très forts pour dénoncer les capitalistes, les financiers, ceux qui dominent. Mais beaucoup moins forts pour parler et convaincre ceux qui sont exploités, ceux qui sont dominés.
Le monde du travail est fort quand il est uni. Nous devons changer ce modèle économique pour remettre l’homme et la planète au cœur de tous les choix. Unis, nous serons plus forts pour reprendre le pouvoir sur la finance et décider de nos vies. Ce n’est pas qu’une question d’addition, c’est une question de bataille idéologique.
Dans ce contexte, la question écologique devient de plus en plus centrale…
Il faut s’adresser à la jeunesse, à ceux qui ont placé l’écologie en tête de leurs préoccupations et leur dire qu’il n’y aura pas de politique écologique sans remettre en cause le modèle économique. Le capitalisme vert, ça n’existe pas. J’ai toujours dit que cette question devait être une priorité pour nous. Le Parti communiste français, c’est l’humain et la planète d’abord. C’est clair.
La seule solution pour exprimer l’urgence écologique n’est pas le bulletin Vert. Le PCF a des propositions et un projet communiste qui répond au défi écologique et climatique. Nous devons montrer leur lisibilité et leur cohérence. C’est un problème de culture politique, de prise de conscience. Nous devons convaincre les jeunes et, pour cela, nous devons être encore plus nombreux. Nous appelons donc à un renforcement important de notre parti en nombre d’adhérents pour avoir plus de moyens humains, pour aller parler dans les lycées, les universités, les usines et les entreprises, pour convaincre de l’urgence à changer de modèle de société.
Au soir des européennes, un camarade est venu me voir et m’a dit : « C’est maintenant que tout commence. » J’ai apprécié cette formule. Cette campagne est un point de départ.
En 2017, la France Insoumise ne faisait plus référence à la gauche. En 2019, les Verts ne font plus référence à la gauche et ils arrivent en tête. La notion de gauche a-t-elle fait son temps selon vous ?
Je ne crois pas qu’il s’agisse pour nous de faire pareil. La gauche, si elle est disqualifiée dans les urnes, existe toujours dans les têtes. Comme la droite, qui a bien compris que Macron pouvait devenir son nouveau poulain. Cela dit, ces élections posent un certain nombre de questions et il va falloir prendre le temps de la réflexion. Je veux prendre le temps de me poser, d’écouter, d’étudier, de parler avec les militants. Je vais entamer une tournée des entreprises pour aller à la rencontre de ces salariés du public et du privé, échanger avec eux. Pour entendre leurs mots, ce qu’ils vivent dans leurs entreprises.
Mais n’est-on pas à la fin d’un cycle, y compris pour la gauche ?
Oui, la gauche peut disparaître et il peut y avoir demain un paysage politique structuré entre l’extrême droite qui fait peur et les démocrates qui seraient les sauveurs. Ça serait terrible. Pour déjouer ce piège, il faut faire ce qu’ont fait nos anciens en 1789 ou lors la Commune de Paris, il faut se remettre à rêver d’un projet d’émancipation humaine égalitaire. Un programme, ça ne suffit pas. Il faut réussir à se projeter dans un rêve humaniste, progressiste, communiste qui redonne envie de s’engager en politique au sens noble. Pas pour une boutique mais pour un projet de société.
Allez-vous rencontrer les autres forces de gauche prochainement ?
Oui, mais ça ne réglera pas tout. C’est facile de se retrouver avec des forces de gauche autour d’un café pour se mettre d’accord ou se dire qu’on n’est pas d’accord. C’est autrement plus difficile d’aller convaincre 10 millions d’électeurs qu’il est possible de changer la société ensemble. Je l’ai dit à Jean-Luc Mélenchon et Olivier Faure, je suis disponible pour discuter avec tout le monde sans préalable et sans dire qu’on a une réponse toute faite.
Après, il va y avoir des élections municipales. C’est un scrutin local, que les Français aiment bien. Le mode de scrutin permet les rassemblements les plus larges. Créons les conditions partout pour faire gagner des majorités qui vont porter des idées nouvelles et produire des actes nouveaux. Des élus qui vont défendre des services publics locaux, la gratuité des transports, l’écologie… qui vont se battre pour redonner des moyens aux communes et battre la droite de Macron et l’extrême droite.
Mais la gauche, ça ne peut pas être que des alliances électorales. Comment fait-on pour empêcher la privatisation d’ADP ? Comment fait-on pour gagner un moratoire sur toutes les fermetures de services dans les hôpitaux publics ? Pour que la ligne Perpignan-Rungis, le train des primeurs, ne ferme pas ? Pour empêcher les fermetures d’usines ? C’est concret, c’est maintenant et ça change la vie des gens. On peut mener ces batailles ensemble, gagner ensemble dans le respect des identités de chaque force. « C’est dans l’action que la gauche se reconstruira. »
Je pense que, aujourd’hui, il y a besoin surtout de rassembler celles et ceux qui veulent transformer radicalement la société. Il faut aller plus loin que la « gôche » avec un accent circonflexe. Produisons les idées qui vont nous permettre de sortir du capitalisme, une rupture heureuse avec la société actuelle vers une nouvelle société. Des gens qui veulent le faire, il y en a chez les insoumis, chez les Verts, chez les socialistes et chez les communistes bien sûr, mais il y en a beaucoup plus en dehors de nos partis !
Il s’agit moins d’additionner des forces politiques que d’additionner les idées, les gens et produire des actes. Quand les gilets jaunes disent que les politiques, « c’est de la merde », et qu’il y a trop de députés. Quand j’entends des responsables syndicaux qui disent : « La politique, ça ne m’intéresse pas, j’en fais pas. » C’est ça qui doit nous préoccuper. Il faut les convaincre qu’il faut qu’ils s’intéressent à la politique. Parce que d’autres le font et construisent leur avenir à leur place. Ce sera long mais c’est incontournable pour changer le rapport de forces dans notre pays. Oui, c’est maintenant que tout peut commencer.