Fabien Roussel : « Unis, les salariés pèsent, sont forts et ont des intérêts à défendre »
Juste avant le 1er mai, Fabien Roussel, secrétaire national du PCF, publie son troisième livre aux éditions le Cherche Midi, « le Parti pris du travail ». Il souhaite mettre ce thème au cœur du débat public et pense qu’il peut contrer la division des salariés orchestrée par la droite et l’extrême droite.
Les enquêtes sur les cahiers de doléances des gilets jaunes ont montré une aspiration à la protection face aux aléas de l’économie. Selon vous, quels étaient les ressorts du mouvement des gilets jaunes ?
Une profonde colère de gens qui entendaient être respectés. On trouvait sur les ronds-points des retraités en colère contre la hausse de la CSG, des travailleurs contre la taxe carbone et la hausse du prix de l’essence. J’ai vu à l’époque des travailleurs, salariés, hommes et femmes, qui se disaient les invisibles de la société. C’était une révolte sincère et populaire de personnes qui peinaient à joindre les deux bouts, quand bien même ils travaillaient.
Dans votre livre, le Parti pris du travail, vous dites que le travail est le « ciment » qui peut unir le peuple de France…
Si l’on ne fait rien, on se dirige vers une France pauvre et rabougrie : avec des petits salaires, des petits boulots, des petits services publics. Ce n’est pas la France que je souhaite. Nous devons reconstruire une France qui réponde à ses besoins et soit indépendante d’autres puissances pour son industrie, ses matières premières, ses médicaments, son acier, etc. Afin d’investir massivement dans l’industrie, l’économie, les services publics, il faut s’appuyer sur le monde du travail pour reconstruire cette France.
Ce livre est un appel à prendre conscience de notre force en étant unis. Or, le gouvernement, les financiers font tout pour instiller le poison de la division : entre ceux qui travaillent dans le public, traités de privilégiés, et ceux qui travaillent dans le privé ; entre ceux qui ne travaillent pas, traités de fainéants, et ceux qui travaillent ; entre ceux des villes et ceux des champs ; mais aussi sur la religion, l’immigration.
Pourquoi la centralité du travail n’a pas bonne presse dans une partie de la jeunesse ?
Je suis en désaccord : tout dépend du contenu mis dans l’emploi. Je ne connais pas de jeune qui aspire à l’oisiveté. Les jeunes ont beaucoup d’ambition et sont différents. Certains ont envie de travailler tôt. D’autres aspirent à faire des études longues. Mais les uns comme les autres ont du mal à trouver des débouchés.
Ceux qui veulent commencer très tôt se retrouvent avec des conditions de travail très dures. Ce n’est pas un avenir pour nos enfants. Ceux qui ont fait beaucoup d’études ne trouvent pas à travailler dans leur domaine de compétence, avec une rémunération correspondante. On s’étonne que les chercheurs s’en aillent à l’étranger.
À propos du contenu du travail, François Bayrou disait qu’il fallait travailler plus…
Plutôt que de demander de travailler plus à ceux qui travaillent dans des métiers difficiles, qui aspirent à partir en retraite plus tôt, je commencerais par dire qu’il faut travailler tous. Il faut proposer un travail à ceux qui n’en n’ont pas et mettre un garrot sur les suppressions d’emploi. 400 emplois sont menacés chez Vencorex, 6 000 dans la chimie… Avant de dire qu’il faut travailler plus, je dis au premier ministre : « Sauvez les emplois menacés ».
Comment contrer les divisions ?
On oppose les salariés les uns aux autres. On nous demande de trouver une solution parmi nous. Mais jamais n’est posée la question du capital, des ultrariches, des revenus financiers, de ceux qui ont vu leur fortune multipliée par deux et leurs impôts baisser depuis qu’Emmanuel Macron est au pouvoir.
Vous dénoncez les postures qui empêchent d’aborder sereinement la thématique de l’immigration. Quelles sont-elles ?
Même à gauche, il y a des personnes qui disent qu’on a besoin d’immigrés pour travailler dans des secteurs en tension, exercer les métiers que les Français ne voudraient pas faire. C’est un discours patronal que je ne partage pas. J’aimerais que les métiers difficiles prennent en compte la pénibilité, soient mieux rémunérés, attractifs. L’objectif ne peut être de faire venir des personnes de l’étranger pour les exercer.
Je voudrais que chacun puisse dire qu’il est fier que son enfant fasse ce métier. Je trouve dégradant de dire des travailleurs étrangers sur notre sol qu’ils devraient faire des métiers sous-payés, difficiles, au motif qu’ils sont étrangers. C’est une vision esclavagiste de la personne. Nous devons leur garantir des conditions de travail décentes et promouvoir l’égalité des droits : à travail égal, salaire égal, sans distinction.
Pourquoi considérez-vous le RSA comme une « politique de reniement » ?
Mettre en place un revenu de substitution, une aide pour celles et ceux qui se retrouvent du jour au lendemain sans rien, du fait d’une conjoncture économique difficile, d’une crise, d’une pandémie, oui. Mais le RSA existe depuis quarante ans : cela signifie qu’on institutionnalise cette politique pour accompagner le chômage. Il est plus facile de verser un RSA que de résister aux grands groupes qui délocalisent. Je le regrette et j’ai beaucoup plus d’ambition pour mon pays. Je fixe l’objectif d’éradiquer le chômage en cinq ans, de garantir à chacun un emploi, ou une formation avec un salaire au niveau du Smic revalorisé.
Il n’y aurait alors plus besoin de mettre en place un RSA, ou alors de manière très résiduelle. Car ceux qui vivent du RSA ne vivent pas mais survivent. Ceux que je rencontre dans mes permanences, avec moins de 600 euros de ressources, sont obligés d’aller chercher des colis alimentaires. C’est pourquoi jamais je ne défendrai le RSA.
Je parle toujours des formations rémunérées au Smic, parce que j’ai rencontré trop de gens à qui l’on a proposé des formations, pour lesquelles ils pointent à 9 heures, finissent à 17 heures, doivent mettre les enfants à la garderie et à la cantine, pour 700 euros par mois. Ils sortent de leur formation et sont endettés. Il faut mettre l’accent sur la formation, mais en échange d’un salaire, comme toute personne qui va travailler.
Certains vous objecteront que certaines personnes seraient inemployables…
À mon avis, le nombre de personnes inemployables est résiduel. Chacun peut être utile en fonction de ses compétences, de son activité. Beaucoup de personnes en situation de handicap parviennent à avoir une activité professionnelle, encadrée. Tout le monde a sa place dans la société. Quand l’on parle du plein-emploi avec un taux de chômage à 4 %, ce n’est pas acceptable. Le plein-emploi, c’est 0,1 % de chômage.
Quel choc d’investissement prônez-vous pour réindustrialiser la France ?
Le sujet devrait envahir les médias au moment où le gouvernement demande 40 milliards d’euros d’économies. Or, quand quelqu’un est malade, on ne lui supprime pas ses repas. On lui donne des vitamines. La France est malade. Face à la guerre économique de Donald Trump, il faut libérer l’argent, investir énormément. C’est ce qu’a fait la BCE pendant la pandémie, même si elle l’a fait sans donner de critères ; elle a créé de la monnaie et injecté 3 000 milliards d’euros. Il faut aujourd’hui utiliser le bazooka monétaire et avoir le même choc d’investissement pour les pays de l’Union européenne (UE) et pour la France, mais en donnant des critères sociaux et environnementaux.
Les dépôts des banques, de la Caisse des dépôts et consignations (CDC), de la Banque publique d’investissement (BPI), de la Banque postale, s’élèvent à des milliers de milliards d’euros. Je propose que 400 à 600 milliards d’euros soient mis à disposition d’un fonds au service de l’industrie, de nos services publics pour prêter à taux zéro, voire négatifs, sur la base de critères.
Cela aiderait à la réindustrialisation du pays, au soutien à l’économie, à l’investissement dans nos services publics. C’est à l’ordre du jour. L’Allemagne le fait en débloquant 500 milliards d’euros pour l’armement et ses infrastructures. Faisons la même chose en France pour relocaliser notre industrie, empêcher son démantèlement et travailler sur de gros projets, notamment dans l’industrie et les transports.
Alors commissaire au Plan, François Bayrou avait proposé un fonds de 500 milliards d’euros, Mario Draghi un fonds de 750 milliards d’euros à l’échelle européenne. Quelle est la différence avec ce que proposent les communistes ?
Il est déjà intéressant de relever que même chez les libéraux, il y en a qui pensent qu’il faut injecter de l’argent et rembourser plus tard. Notre différence est de ne pas vouloir lever ces centaines de milliards d’euros sur les marchés financiers, afin de ne pas être soumis à leur tutelle et de ne pas les distribuer sans contreparties. Nous pouvons faire appel à la Banque centrale européenne (BCE) qui prêterait directement aux États pour qu’ils financent ces investissements sans être soumis à la tutelle des marchés financiers.
Ce n’est pas ce que fait l’Allemagne. C’est ce que proposait en revanche François Bayrou il y a près de deux ans, mais qu’il ne propose plus maintenant qu’il est premier ministre. Nos critères d’attribution de ces prêts à taux zéro ou négatifs seraient définis démocratiquement. On ne peut plus distribuer d’argent gratuit aux grands groupes, surtout quand ils distribuent des dividendes ou délocalisent.
Envisagez-vous des nationalisations de grandes banques systémiques ?
Si les banques ne changent pas et continuent de ne prêter qu’aux plus riches, il faudra certainement remettre cette question sur la table, comme nous l’avions fait en 1981.
Votre livre aborde des questions stratégiques. Comment construire une conscience de classe ?
Avec un parti communiste fort et des syndicats plus forts. Nous avons besoin d’avoir des organisations qui défendent le progrès social et la paix. C’est le rôle que devraient jouer les forces de gauche et que joue le PCF. Une conscience de classe ne tombe pas du ciel. Elle se construit en faisant prendre conscience aux salariés qu’unis, ils pèsent, ils sont forts et ont des intérêts communs à défendre.