Ce mercredi 17 avril à Brest, la CGT, le PCF et le MJCF célébraient la mémoire de notre camarade Edouard Mazé tué par les gendarmes lors de la répression d’une manifestation à Brest en 1952 dans un contexte de guerre froide.
La section du Pays de Brest du PCF a rendu hommage ce mercredi 17 avril à 10 h 30 aux cotés de la CGT à notre camarade Édouard Mazé syndicaliste, résistant, communiste tué le 17 avril par les forces de l’ordre.
Une gerbe a été déposée par le PCF Brest en sa mémoire sur la stèle située place Édouard Mazé devant la Maison du Peuple
Ci dessous l’article de l’Humanité de Grégory Marin publié à la sortie du très beau livre « Un homme est mort », de Kris et Étienne Davodeau,
Indomptable mémoire ouvrière
Édition . Le 17 avril 1950, les gendarmes ont tiré sur des travailleurs brestois en grève. La bande dessinée Un homme est mort témoigne de cette sombre page de l’histoire ouvrière.
« Mort pour le pain, la paix et la liberté ». L’épitaphe gravée sur la tombe d’Édouard Mazé, militant CGT tué le 17 avril 1950 d’une balle en pleine tête, résume le combat d’une vie. La sienne, et celle de tous ses camarades qui ce jour-là, manifestaient dans Brest en reconstruction. Pour 10 francs de salaire supplémentaire. Pour leur dignité de travailleurs. Face à leur détermination, les gendarmes ont tiré dans la foule. Un geste terrible, exécuté pour la dernière fois en France. Pour Pierre Cauzien, le péroné fracassé et le mollet déchiqueté, un souvenir impossible à effacer.
L’État a toujours refusé de reconnaître le geste de ses agents, mais Pierre, aujourd’hui âgé de quatre-vingt-quatre ans, ne s’est jamais découragé. « J’ai perdu une jambe, pas la tête », lance-t-il, sourire en coin. Têtu, le vieux militant cégétiste et communiste a passé cinquante ans à la reconstituer le fil de l’histoire. Il a fini par envoyer une lettre aux archives départementales : « Je voulais savoir la vérité avant de passer de l’autre côté ». Finalement, celle-ci tient dans l’intitulé du rapport de gendarmerie, qu’il a eu entre les mains : « Manifestation du 17 avril 1950, mort d’Édouard Mazé tué par les forces de l’ordre ». Les archives de police sont protégées par le secret durant soixante ans. Mais « à mon âge, je ne me se soucie plus de ça », lâche « Pierrot ». La vérité, enfin sur ce que ce militant a toujours considéré comme « un crime d’État maquillé en fait divers »…
État de siège
Ce matin du 17 avril, Brest est en effervescence, et malgré l’arrêté municipal d’interdiction (antidaté à la demande de la préfecture de police, comme le prouve le document reproduit en annexe de la bande dessinée Un homme est mort de Christophe Goret, alias Kris, et Étienne Davodeau), les ouvriers, épaulés par la CGT et la CFTC, défilent en nombre. Jusqu’au drame de la rue Kérabécam. « Allez-y, tirez, mais tirez en l’air », aurait ordonné le commissaire Le Goan, selon le rapport 141W33 rédigé par le capitaine de gendarmerie Kerhoas, commandant le détachement de Chateaulin. « Aussitôt, quelques coups de feu sont partis, un homme est tombé parmi les manifestants. J’ai immédiatement donné l’ordre de cesser le feu (…) » écrit le gendarme.
Si la troupe affirme avoir « tiré en état de légitime défense », pour « sauver la vie du personnel », la contre-enquête menée par le scénariste Kris durant deux ans, à l’occasion de l’écriture de la bande dessinée, tend à montrer que les gendarmes n’étaient absolument pas en danger, face à des militants seulement armés de banderoles. Une révolte légitime matée dans le sang. Le lendemain, l’Humanité titrera en une : « Le gouvernement fait tirer sur des Français : un ouvrier assassiné par des CRS à Brest ». Mais Pierre Cauzien n’aura pas le loisir de lire « son » journal ce jour-là. À l’hôpital, le chirurgien extrait la « balle de gradé » qui lui a coûté la jambe.
Devoir de mémoire
En ville, les événements se poursuivent. Le réalisateur militant René Vautier, auréolé de la réussite de son film Afrique 50, a été appelé à la rescousse par la section brestoise de la CGT du bâtiment, « pour témoigner, raconter notre histoire ». C’est que, outre l’agression policière, il y a beaucoup à dire sur ces derniers jours. Depuis le 30 mars, au port de commerce, les dockers refusent de débarquer le matériel américain pour armer l’OTAN face à l’Union soviétique. Le 14 avril, femmes et enfants ont été matraqués à l’hôtel de ville alors qu’ils réclamaient les bons de lait promis par la ville. Le lendemain, excédées, elles ont séquestré quelques heures le secrétaire de la chambre patronale. En réponse, les autorités arrêtent au matin du 16 avril les responsables syndicaux Charles Cadiou et Raymond Bucquet, ainsi que Marie Lambert, députée communiste du Finistère, malgré son immunité parlementaire (un autre, Alain Signor, sera arrêté le 17 – NDLR). Vautier, flanqué de militants cégétistes, se démène, recueille un témoignage unique, malheureusement « mort au combat », la pellicule n’ayant pas supporté les dizaines de projections. Il est là aussi à l’enterrement religieux d’Édouard Mazé. « Dans Brest totalement paralysé, c’est près de 80 000 personnes qui accompagneront pour son suprême voyage le camarade Édouard Mazé, de la maison des syndicats au cimetière de Kerfautras, par l’église Saint-Martin, dont la nef et le parvis uniront dans le même espoir d’une vie meilleure pour le monde du travail, les chants liturgiques et le drapeau rouge de la CGT du bâtiment », écrivait Pierre Cauzien trente ans plus tard dans un journal du syndicat. « Un pied de nez à ceux qui voulaient nous diviser », se souvient Pierre.
Aujourd’hui, la vérité enfin révélée, Pierre jette « un regard sans haine » sur ce moment de sa vie. Même s’il lui a valu des années de souffrance, dues autant à la perte de sa jambe qu’à la non-reconnaissance de son statut de travailleur handicapé par l’arsenal de Brest, où il était dessinateur. Sans compter les manifestations de « haine et de mépris des travailleurs traités en voyous » : « Ça t’apprendra, à toi et à ta bande », lui a lancé un cadre, un jour. « Je gênais. J’étais communiste, un mauvais Français. Dans un endroit stratégique, en plus… » De ces années, « Pierrot » retient surtout « la solidarité des gars », qui se sont cotisés pendant six mois pour compléter le demi-salaire auquel il avait droit après son accident. « À mon âge, on n’a plus de haine. Même pas envers celui qui a tiré », soupire le sympathique vieillard. Plus de haine, mais de la mémoire. Une « mémoire militante » qui ne s’éteindra pas, grâce au travail de Kris et Davodeau.
(1) Un homme est mort, Kris et Étienne Davodeau, Éditions Futuropolis, octobre 2006, 15 euros.
Grégory Marin