Libertés Une semaine après l’offensive du ministre de l’Intérieur contre la Ligue des droits de l’homme, un large front se constitue pour défendre l’association. L’Humanité invite tous ses lecteurs à signer l’appel qu’elle lance ce mercredi.
Mercredi 12 avril 2023
S’élever contre les injustices, défendre l’État de droit, résister. Voilà le programme que la Ligue des droits de l’homme (LDH) s’est assigné dès sa naissance, en 1898, dans le contexte de l’affaire Dreyfus. Cent vingt-cinq ans plus tard, cette ligne directrice reste d’une ardente actualité. Surtout depuis que le ministre de l’Intérieur a cru bon, le 5 avril, devant la représentation nationale, de menacer publiquement l’association de lui retirer toute subvention publique. Visiblement décidé à tout oser au service de ses ambitions personnelles, Gérald Darmanin, pour justifier cette attaque, a accusé la LDH de cautionner, voire d’inciter aux violences commises lors de la manifestation de Sainte-Soline (Deux-Sèvres), en voulant faciliter « le transport d’armes » lors de cette mobilisation. Un comble quand on connaît le combat pacifiste de l’organisation…
« Jamais la Ligue des droits de l’homme n’a été remise en cause de cette manière, sauf pendant une période noire de notre histoire qui est la période de Vichy », avait réagi, le 5 avril, le président de la LDH, l’avocat Patrick Baudouin. Pourtant, des attaques, l’association en a subi de nombreuses, y compris depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Venues de la droite souvent, parfois de la gauche, quand cette vigie des droits de l’homme avait par exemple combattu la politique algérienne menée par Guy Mollet (SFIO) ou critiqué la politique migratoire du gouvernement Jospin. « Notre boussole, c’est la défense de l’État de droit, explique Marie-Christine Vergiat, vice-présidente de la LDH. Or, celui-ci dépend de l’équilibre entre les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire, mais aussi entre démocratie politique et démocratie sociale. Sujet sur lequel le gouvernement actuel a tout faux… »
Justement, le gouvernement, que dit-il de la sortie pour le moins agressive de Gérald Darmanin ? Depuis une semaine, rien ou presque. Les demandes de rencontre avec la première ministre Élisabeth Borne, formulées par la Ligue, sont restées sans réponse. « La LDH est financée via l’État par le budget de la première ministre et le budget du ministre de l’Éducation nationale. Je crois que (ni l’une ni l’autre) n’ont exprimé la moindre intention de réduire les subventions », a tenté de rassurer Clément Beaune, dimanche, sur France Inter. Autrement dit, le locataire de la place Beauvau n’aurait exprimé là qu’une position personnelle, pas celle du gouvernement…
En attendant que celle-ci soit clarifiée, les responsables de l’association accueillent avec soulagement l’élan de solidarité formidable qu’ont provoqué, autour de la LDH, les déclarations belliqueuses de Gérald Darmanin. « Plusieurs centaines de nouvelles adhésions et plusieurs dizaines de milliers d’euros de dons » ont été enregistrées depuis une semaine, selon la Ligue, qui doit refaire un point sur le sujet ce jeudi. « Être attaqué aussi violemment, c’est difficile à vivre, confie Marie-Christine Vergiat. Mais être soutenu aussi massivement, ça fait chaud au cœur, c’est même émouvant. » Afin de prolonger au maximum cet élan, et de dire haut et fort que l’Humanité se tient aux côtés de la LDH, notre journal a décidé de lancer un appel. Il invite aujourd’hui toutes et tous à le signer – et le faire signer – le plus largement possible.
Mercredi 12 avril 2023 – L’Humanité
Il y aura toujours des femmes et des hommes pour défier l’arbitraire et résister aux passions tristes.
Une menace qui ne passe pas. Si l’attaque de Gérald Darmanin contre la Ligue des droits de l’homme suscite une telle inquiétude, une telle émotion, c’est qu’elle cristallise tous les dangers qui guettent le pays. Qu’un ministre de l’Intérieur, dans un contexte de poussée de l’extrême droite, désigne une association comme un ennemi à abattre confirme que tous les voyants sont au rouge. Un électrochoc pour les progressistes, qui ont répondu massivement à l’appel de l’Humanité. 1 000 dirigeants et élus politiques de tous horizons, intellectuels, artistes, responsables syndicaux et associatifs, viscéralement attachés aux valeurs républicaines et à la défense des libertés publiques.
Gérald Darmanin connaît-il l’histoire de la LDH, fondée pour défendre le capitaine Dreyfus et qui fut, tout au long du XXe siècle, une des plus belles vigies de notre pays contre les guerres et les attaques aux droits et libertés, des luttes anticoloniales à celles contre la peine de mort ou pour l’avortement et la laïcité ? Aux heures noires de Vichy, son président, Victor Basch, juif, fut exécuté à 80 ans, ainsi que sa femme Hélène, par la milice de Touvier. Le prétendu « Comité national antiterroriste » acheva ses basses œuvres en déposant un écriteau inique sur leurs corps.
C’est cette histoire que souille le ministre de l’Intérieur dans sa croisade contre le « terrorisme intellectuel de l’extrême gauche », selon ses propres mots, empruntés à l’extrême droite. Les attaques contre la LDH sont toujours intervenues dans des périodes sombres de notre pays. Et, comme toujours, ces contre-pouvoirs sont d’abord frappés au portefeuille pour entraver leurs activités.
La longue liste de signataires que vous découvrirez dans nos colonnes démontre qu’il y aura toujours des femmes et des hommes pour défier l’arbitraire et résister aux passions tristes. Pour s’élever contre les injustices et veiller à nos libertés publiques. Depuis cette intimidation de Gérald Darmanin, les soutiens et adhésions à la LDH ont afflué. Il a déjà perdu. Le président de la République doit condamner publiquement les propos de son ministre de l’Intérieur. Son silence est complice.