Le gouvernement dit que son projet permettra d’« améliorer la prise en compte de la pénibilité » au travail. Ces déclarations sont en contradiction avec la politique menée depuis 2017 puisque les dispositifs existants ont été affaiblis par l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron.
En effet, la loi Touraine de 2014 avait allongé progressivement la durée de cotisation à quarante-trois annuités. Mais elle avait aussi créé le Compte personnel de prévention de la pénibilité (C3P). Ce dispositif non rétroactif permettait aux salariés exposés à des conditions de travail éprouvantes d’accumuler des points pour financer des formations, un temps partiel sans baisse de salaire ou un départ à la retraite jusqu’à deux ans plus tôt. À l’origine, le C3P prenait en compte dix facteurs de risques :
– Les « contraintes physiques marquées » : manutention manuelle de charges, postures pénibles, vibrations mécaniques ;
– L’« environnement physique agressif » : agents chimiques dangereux, travail en milieu hyperbare, températures extrêmes, bruit ;
– Les « rythmes de travail » : de nuit, en équipes successives alternantes, répétitif.
Ces facteurs sont qualifiés selon des seuils réglementaires de temps et d’intensité. Par exemple, un salarié pouvait faire reconnaître le bruit comme facteur de pénibilité si son niveau d’exposition quotidienne (huit heures) atteint 81 décibels en moyenne six cents heures par an.
Ces facteurs de risque ont été réduits par Macron en 2017. Emmanuel Macron avait déclaré devant le patronat, lors de la campagne présidentielle, en mars 2017, « je n’aime pas le terme de pénibilité, donc je le supprimerai ». ès son accession au pouvoir, le C3P a été remplacé par le Compte professionnel de prévention (C2P). Le gouvernement ne s’est pas contenté de supprimer le mot « pénibilité », il a aussi réformé son financement et retiré quatre facteurs de risques : le port de charges lourdes, les postures pénibles, les vibrations mécaniques et les risques chimiques. y a donc moins de bénéficiaires depuis la réforme de la pénibilité de 2017, particulièrement moins d’ouvriers.
Dans la majorité des cas (61 %), les demandeurs utilisaient leurs points pour partir plus tôt en retraite : une possibilité ouverte seulement aux salariés âgés d’au moins 55 ans et pouvant avancer le départ de deux ans au maximum. C’était pour eux le principal intérêt de cette possibilité.
Plutôt que de réintégrer les quatre facteurs de risques supprimés au C2P, le gouvernement a choisi d’insérer trois « risques ergonomiques » (port de charges lourdes, postures pénibles, vibrations mécaniques) au sein d’un nouveau Fonds d’investissement dans la prévention de l’usure professionnelle doté d’un milliard d’euros pour 5 ans et le déplafonnement des points du C2P. Ceci n’ouvre aucun droit à une retraite anticipée. Jusqu’ici, un salarié ne pouvait cumuler plus de cent points au cours de sa carrière (soit vingt-cinq ans d’exposition à un facteur ou douze ans et demi pour plusieurs facteurs). La réforme prévoit de supprimer cette limite. C’est une mesure à double tranchant, car peut envoyer le message que la durée d’exposition n’est pas grave puisqu’on va gagner des points. Mais on ne cumule pas sans conséquence sur la santé.Dans cet esprit, le gouvernement veut aussi renforcer le suivi médical des salariés exposés aux facteurs de risques ergonomiques en créant une visite obligatoire de fin de carrière, à 61 ans, de favoriser un départ anticipé dès 62 ans à taux plein pour ceux qui ne sont pas en mesure de continuer de travailler.
Actuellement, le dispositif de retraite anticipée pour incapacité permanente d’au moins 10 % à la suite d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle donne droit, sous certaines conditions, à une retraite à taux plein à 60 ans. Ce départ anticipé sera donc repoussé de deux ans avec la réforme des retraites.
On s’éloigne de la définition légale de la pénibilité qui mentionne des risques professionnels « susceptibles de laisser des traces durables, identifiables et irréversibles sur sa santé », et non des incapacités déjà avérées.
En conclusion, on passe d’un droit reconnu à une appréciation conjoncturelle. Les médecins du travail déclarent que ce n’est pas à eux de prendre ces décisions de mise en retraite. Ils seront d’ailleurs bien dans l’impossibilité de traiter ces dossiers compte tenu de la pénurie de professionnels dans le domaine de la médecine du travail.