Category: 1920-2020 : 100 ans d’engagements communistes en Finistère.

1920-2020: 100 ans d’engagements communistes en Finistère. 9/ Pierre Le Rose

1920-2020: 100 ans d’engagements communistes en Finistère.

9/ Pierre Le Rose

Marie-Pierre Le Rose et sa sœur ont fait don à l’hiver 2015-2016 à la Fédération du Parti Communiste Français du Finistère des archives de leur père, ancien résistant et ancien secrétaire départemental du Parti Communiste du Finistère, puis adjoint au maire à Concarneau, un militant exceptionnel qui a consacré sa vie à ses idéaux de justice sociale et de progrès. Un homme que nous admirons beaucoup, d’une grande qualité humaine, en qui nous voyons un exemple et un modèle de rigueur politique et morale et de dévouement.

Ce fut une grande joie et un honneur pour nous de pouvoir explorer pendant plusieurs mois les traces d’un intérêt exceptionnel de ce passé de militant, ses documents issus de la Résistance, du CNR, ses lectures communistes, ses rapports, ses comptes rendus de réunions de cellules et de sections, et à travers cela, de restituer une époque passionnante et inspirante de notre histoire.

Nous avons commencé à lire les compte rendus de réunions de sections, de cellules, de comité de rédaction « d’Ouest-Matin », de comités fédéraux de Pierre Le Rose, alors secrétaire départemental du Parti Communiste, en 1955-1956, dans un contexte de guerre d’Algérie, de réorientation par rapport à l’héritage de Staline suite au XXe congrès, d’effort constant pour renforcer l’audience du parti communiste dans les masses et pour réaliser les conditions d’un rassemblement populaire à gauche.

On y découvre un PCF fort dans le Finistère (2533 adhérents, 2 sièges de députés, le 2e parti en nombre de voix aux élections législatives de début 1956), avec une implantation dans les quartiers, les entreprises. Un Parti qui est relativement serein, avec de forts consensus, sans beaucoup de débats idéologiques et politiques contradictoires, même si parfois on voit des doutes, des désaccords et des contradictions affleurer, mais avec un effort qui est dirigée surtout vers l’action, l’organisation, la « propagande » et l’explication auprès du grand public, et une très forte préoccupation pour les problèmes sociaux quotidiens de la population. Le Parti est organisé en cellules, plus ou moins active, il s’appuie sur une presse importante, y compris avec une dimension départementale et régionale (Ouest-Matin), et un travail collectif considérable, même si comme aujourd’hui, des problèmes d’organisation existent. Il est amusant de découvrir dans ces carnets le fonctionnement du Parti et son quotidien, il y a plus de 60 ans, avec des différences importantes de contexte mais aussi beaucoup de similitudes avec les préoccupations et discours actuels des adhérents du Parti Communiste.

Pierre Le Rose est le fils de Théophile Le Rose, né à Concarneau le 11 février 1900, qui était lui-même un militant communiste.

 

Engagé à 18 ans, Théophile Le Rose était au dépôt de Brest au moment des événements faisant suite aux révoltes de la Mer Noire. Il était ami avec Théo Le Coz qui sera plus tard directeur de La Bretagne ouvrière, paysanne et maritime.

Voilier, Théophile succéda à son père à la tête de la voilerie artisanale et familiale employant cinq ouvriers. Pierre Le Rose est l’un de ses deux fils, qui naît le 10 février 1923 à Concarneau.

Théophile participe au mouvement populaire qui se développe après février 1934. Il adhère au Parti Communiste en 1935 et est présent dans les différentes activités du Front Populaire (campagne électorale de 1934 où Pierre Guéguin entre au Conseil Général, de 1935 avec l’élection aux municipales de la liste de front commun, de 1936 avec la victoire aux législatives).

Il participe au soutien à l’Espagne Républicaine (accueil des réfugiés, organisation des Brigades Internationales).

Il organise la manifestation départementale du Front Populaire le 7 juin 1936 à Concarneau, prépare la première fête de la Bretagne du Parti Communiste à Concarneau en août 1936 avec Marcel Cachin, réceptionne et achemine Jacques Duclos en novembre 1937. Théophile Le Rose développe aussi des relations étroites avec Alain Signor, élu au Comité Central au Congrès d’Arles en 1937. Il décède après la fête de l’Humanité de Garches, le 8 juillet 1938.

Son fils, Pierre Le Rose, commence à s’intéresser à la vie politique à partir des événements de 1934 et de 1936, de la construction du Front Populaire. Il participe aux manifestations comme enfant, lit « l’Huma » à laquelle son père est abonné. Il vend des Bonnets phrygiens, insignes du Front Populaire, à la manifestation du 7 juin 1936: Pierre a alors 13 ans. Son père décède quand Pierre atteint sa quinzième année.

En 1940, à dix-sept ans, il quitte l’école pour prendre la direction de la Voilerie qu’avait conservée sa mère au décès de Théophile. Il conserve un contact avec le Parti, désormais clandestin après les accords germano-soviétiques, et il a connaissance des premiers tracts du Parti Communiste, alors plus que jamais persécuté: l’appel du 10 juillet 1940 notamment.

Au printemps 1943, avec une équipe de jeunes amis, il constitue les premiers groupes de FTP de la région de Concarneau. Parallèlement, en liaison avec Alphonse Duot, secrétaire de la section clandestine du Parti à Concarneau (reconstituée à la suite des arrestations de 1942), il organise les groupes de la J.C, le Front National et plus tard les F.U.J.P et le Front Patriotique de la Jeunesse. Il rédige et confectionne des tracts, des journaux écrits à la main (« L’étincelle », organe du Parti et des J.C, « l’Insurrectionnel », bulletin du Front National). Il participe aux diverses actions des FTP, à la propagande du Parti et des Jeunesses Communistes, au recrutement.

Au Printemps 1944, Pierre Le Rose participe à la création du Comité Local de Libération dont il devient le Secrétaire. Désigné par ses camarades de la Libération (le 15 août 1944 à Quimper, Concarneau n’est pas encore libérée), il devient membre du Comité Départemental de Libération pour représenter les « Forces Unies de la Jeunesse Patriotique ». Il contribue dans ce cadre à la mise en place des délégations spéciales en remplacement des institutions de Vichy et à la réintégration des Conseils Municipaux dissous en 1939 par Daladier: Concarneau, Guilvinec, Léchiagat, etc.

Il devient membre actif du Front National (l’organe unitaire de la Résistance créé par les Communistes pour fédérer largement la résistance intérieure) pour lequel il fait ses premiers meetings (Douarnenez, avec Albert Trévidic), à Concarneau aux rassemblements des J.C dont il est membre du Bureau Régional. Pierre le Rose est coopté au Comité Régional du Parti Communiste mi-décembre 1944.

Il prend la parole au Congrès du Front National présidé par Joliot-Curie en janvier 1945. Il est élu aux Etats généraux de la Renaissance Française le 14 juillet 1945. Pierre Le Rose était dans la délégation du Finistère au Congrès des JC constitutif de l’U.J.R.F début avril 1945.

Délégation du Finistère au Congrès de Strasbourg du PCF en 1947: Daniel Trellu, Gabriel Paul, Pierre Le Rose, Marie Lambert

En mai 1946, Pierre Le Rose est élu au secrétariat fédéral du Parti Communiste (dont Marie Lambert, première députée femme du Finistère à la Libération, devint première secrétaire). Il restera à cette fonction sous la direction de Daniel Trellu (1949-1952) et sera élu secrétaire fédéral en février 1953. En mars 1956, Pierre Le Rose devient permanent d’Ouest Matin à l’agence de Brest et il fait son retour à Concarneau la même année. Il est secrétaire de la section de Concarneau entre 1957 et 1968. Des raisons de santé ne lui permettront pas de militer pendant quelques années et il quittera le Comité fédéral en 1968, pour y revenir en 1970 lors de la division du PCF finistérien en deux fédérations. Il sera élu trésorier fédéral en 1979.

Pierre Le Rose, infatigable militant, s’est aussi investi à la présidence des parents d’élèves du lycée dans le cadre de la FCPE, à l’ANCR, il a été secrétaire du Comité du souvenir de Châteaubriant, secrétaire du comité de jumelage de Concarneau dans lequel il s’est beaucoup investi pour développer, par-delà les souvenirs douloureux de la guerre, la fraternité franco-allemande. En 1977, il devient conseiller municipal de Concarneau et responsable du groupe communiste de 1977 à 1983.

Ismaël Dupont

 

Marcel Cachin à la fête de la Bretagne avec le comité fédéral du Finistère et Pierre Le Rose

 

 

1920-2020: 100 ans d’engagements communistes en Finistère. 8/ Marie Salou née Cam (1914-2011)

1920-2020: 100 ans d’engagements communistes en Finistère.

8/ Marie Salou née Cam (1914-2011)

Marie Cam-Salou est née en 1914 à Saint-Marc, aujourd’hui un quartier de Brest, jadis une commune indépendante,  d’un père ouvrier à l’Arsenal de Brest (Finistère) et d’une mère travaillant à la Poudrerie de Saint-Nicolas au Le Releq-Kerhuon (Finistère). Marie Cam avait deux sœurs plus âgée qu’elle. Elle se maria le 4 juin 1932 avec Goulven Salou, ajusteur à l’arsenal. Ils eurent deux enfants.

Marie Salou milita au Comité mondial des femmes contre la guerre et le fascisme où elle s’occupa notamment de l’aide aux enfants de républicains espagnols.

Elle adhéra au Parti communiste en 1939.

Après la déclaration de guerre et la mobilisation, le couple fut séparé. En 1940, son mari se retrouva à Dakar (Sénégal), puis Casablanca (Maroc), où il entra dans la Résistance. En avril 43 il intégra la 1re DFL et fut envoyé en Tunisie. Il participa à la libération de l’Italie, au débarquement de Provence, et l’avancée sur Marseille, Lyon, et Colmar.

Membre du P.C.F clandestin, elle héberge les résistants recherchés par la police ou les allemands. Début 1942 elle aide plusieurs prisonniers républicains espagnols à fuir la ville. Elle participe à la manifestation du 28 avril 1942. En Août 1942 elle saccage avec une amie la vitrine de la L.V.F rue de Siam. Arrêtée en octobre 1942 par des policiers français, elle est brutalisée. Internée, elle est finalement remise aux allemands qui la juge à Fresnes en 1943. Déportée, elle revient en 1945 très affaiblie. —– Angèle Kerlirzin-Le Nédelec, née en 1910 à Scrignac. Membre du P.C.F clandestin. A la débâcle elle cache des armes récupérés par son mari. Participe à la diffusion des tracts du P.C.F et F.N. Elle participe à la manifestation du 28 avril 1942 et à la tentative de manifestation patriotique du 14 juillet 1942. Arrêtée en octobre, elle est également internée à Brest, Vitré et Rennes. Libérée en Novembre 1943, elle gagne les Côtes-du-Nord et intègre les F.T.P.

Elle fut libérée le 28 avril 1945 à Mauthausen (Allemagne).

Revenue en France, tout en continuant à militer au Parti communiste, elle adhéra et milita, à l’Union des Femmes Française, à la FNDIRP, à l’ARAC.

On la décora de la Médaille de la déportation, de celle du Combattant volontaire de la Résistance, de la Croix de guerre 39-45, de la Médaille militaire. Elle fut fait Chevalier de la légion d’honneur.

Sources :

 

Photo Marie Salou (deuxième en partant de la gauche) provenant des Archives de Brest et vue sur la page Facebook Brest 44 – Journée internationale de lutte des femmes, pour l’égalité des droits] Le 27 avril 1975, au château de Brest, une plaque est inaugurée en mémoire des résistants et otages arrêtés et incarcérés en ce lieu avant d’être déportés ou fusillés. Sur la photo, trois résistantes que nous avons décidé de mettre à l’honneur en cette journée. De gauche à droite: —– Yvette Castel-Richard, née en 1913 à Brest, membre du P.C.F clandestin, intègre les F.T.P en 1942 comme agente de liaison. Organise la manifestation des brestois du 28 avril 1942 pour demander plus de nourritures aux autorités civiles. Arrêtée en octobre 1942, internée à Brest, Vitré et Rennes.

 

 

1920-2020: 100 ans d’engagements communistes en Finistère. 7/ René Vautier (1928-2015)

1920-2020: 100 ans d’engagements communistes en Finistère.

7/ René Vautier (1928-2015)

 

Né le 15 janvier 1928 à Camaret-sur-Mer (Finistère), mort le 4 janvier 2015 à Cancale où il vivait depuis des années, René Vautier est un cinéaste engagé, anticolonialiste, antimilitariste. René Vautier, jeune lycéen résistant dans le sud-Finistère dès 1943, décoré de la croix de guerre à 16 ans en 1945, adhère au PCF dans l’après-guerre.

Ses films et ses documentaires profondément novateurs sur le rapport au réel les plus connus sont « Afrique 50 » (1950), « Un homme est mort » (1950), « Anneau d’or » (1956), « Avoir vingt ans dans les Aurès » (1971), « Frontline » (1976), « Marée Noire, colère rouge » (1978).

Pendant la guerre d’Algérie, René Vautier eut le courage par conviction anti-colonialiste et par goût du témoignage inédit de suivre des fellagas du FLN pendant plusieurs mois à l’insu évidemment des autorités coloniales avant d’être arrêté par le FLN et de passer plus de deux ans dans ses prisons.

Ce fut aussi un adhérent communiste jusqu’à sa mort, et un militant du Mouvement de la Paix.

Dans le livre richement illustré Des enfants dans la Résistance (1939-1945) (édition Ouest-France), Philippe Chapleau nous fait revivre la naissance à l’engagement de René Vautier à Quimper, comme scout résistant, à travers la retranscription d’un interview passionnant.

René Vautier, le porteur de drapeau à droite, en 1945. Le scout de Quimper a effectué de nombreuses « missions », l’année où il préparait son bac: c’était lui qui représentait le clan des Eclaireurs lors des cérémonies officielles (collection René Vautier – repris par Philippe Chapleau et l’équipe du livre « Des enfants dans la Résistance », Ouest-France)

René Vautier revient sur son adolescence de résistant dans le Sud-Finistère et les blessures intimes que cela a engendré pour lui: 

 » Je suis né le 15 janvier 1928 à Camaret. A 9 ans, j’ai quitté Brest pour Quimper, où ma mère était institutrice dans une école de la ville, sur le bord de la route de Pont-l’Abbé. Elle était divorcée. Nous vivions à trois, avec mon frère aîné, Jean, qui avait 16 ans.

En 1939, mon père, que je n’avais pas vu depuis quelques temps, a été mobilisé. Il a été envoyé dans un casernement de Quimper, à 300 mètres de l’école de ma mère. Je suis allé lui rendre visite plusieurs fois; ça a été mon premier contact avec la guerre. Chez nous, on ne parlait pas beaucoup de la Grande Guerre. En revanche, dès que les Allemands sont arrivés, on a eu une réaction immédiate: il fallait faire quelque chose.

Mon frère et quelques-uns de ses copains des Éclaireurs de France ont échafaudé un plan: ils projetaient de quitter la France en allant prendre l’avion à Pluguffan pour gagner l’Angleterre. Nous, les plus jeunes des Éclaireurs, on était six ou sept: il y avait Bob, Jojo… On a décidé de retarder les Allemands en barrant la route et en faisant des barrages. On a commencé à creuser des trous, des tranchées… Il fallait qu’on donne du temps à nos aînés pour qu’ils puissent s’envoler de l’aérodrome de Pluguffan. C’était complètement dingue, mais ça nous a marqués parce qu’on s’est fait tirer dessus par les premiers soldats allemands qui sont arrivés; c’était en juillet 1940. Ils étaient en side-car, avec de grands cirés, un fusil-mitrailleur à l’avant du side-car. Impressionnant! On a quand même décidé de continuer à balancer des cailloux. Quand ils ont vu qu’ils étaient immobilisés par des rochers sur la route et par des gamins qui leur jetaient des pierres, ils ont tiré en l’air. On a couru très vite à l’abri…   Ce fait d’armes n’a guère impressionné les gens du coin qui nous en voulaient d’avoir creusé des tranchées: ça allait attirer les avions allemands. Certains d’entre nous se sont pris des gifles et on été condamnés à reboucher nos trous!

Les adultes n’étant pas d’accord avec nous, nous avons décidé que nous mènerions notre résistance nous-mêmes. Comme le lycée avait été réquisitionné par les Allemands, les élèves de 6e, 5e et 4e, suivaient les cours de l’autre côté de la ville, route de Brest. Tous les matins, il fallait donc que je traverse toute la ville. C’est alors qu’on a eu une idée. Au début, c’était comme une plaisanterie: on déplaçait les poteaux indicateurs mis en place par les Allemands. Mais, quand les Allemands ont placé des sentinelles près des fameux poteaux de signalisation, on s’est pris au jeu et on leur a compliqué la vie autant qu’on pouvait. C’est à cette époque que j’ai trouvé des poèmes de Victor Hugo; je me suis mis à les lire aux copains. C’était des poèmes de résistance, de lutte contre les Prussiens. Je trouvais ça bien.

Quand on partait camper avec le groupe des Éclaireurs de France qui continuait à fonctionner, je lisais aussi ces poèmes. Mon professeur de français m’a appelé un jour; il s’appelait Xavier Trélu. Il m’a demandé pourquoi je lisais ces textes. Je lui ai répondu qu’il fallait qu’on appelle les gens à la résistance contre l’occupant. Il s’est alors arrangé pour que je reçoive les premières éditions de littérature clandestine, des textes des Lettres françaises *. 

*Le journal du Front National pour la Libération de la France, à visée de rassemblement mais à base communiste, dont le responsable était Louis Aragon

Je lisais ça dans la cour. Le groupe des Éclaireurs a ainsi été un petit peu éduqué dans cet esprit. Un jour Xavier Trélu a disparu. On a appris qu’il était parti en Angleterre. C’était en 1942.

On a alors appris que les Allemands avaient tué des parachutistes qui avaient été largués le long de la côte. On n’a jamais su exactement ce qui s’était passé. Toujours est-il qu’on a pensé que ces paras étaient venus pour faire des relevés, dresser des plans de défense côtières, étudier les zones de tir… Pourquoi pas nous?

En tant qu’Éclaireurs, on avait le droit de marcher le long de la côte: on pouvait aussi faire du renseignement. On a commencé à faire des relevés des angles de tir de casemates. Jusqu’au jour où le responsable du groupe nous a convoqués. Il s’appelait Albert Philippot. Il était professeur à l’école Jules-Ferry, c’est-à-dire le cours complémentaire qui était juste en face du lycée. Philippot nous a fait la leçon: « Vous faites des bêtises qui risquent de se retourner contre vous et contre beaucoup de monde ».

On a eu beau expliquer nos activités, ça ne l’a pas convaincu. Il nous a demandé de lui remettre nos relevés. On a tout donné. Mais quinze jours plus tard, il est revenu nous voir: « Bon, vous pouvez continuer; soyez quand même plus discrets ». C’était en 1943. Philippot nous a même fourni du matériel, des compas par exemple. Ce qu’on ne savait pas, c’est qu’il allait devenir le chef des FFI du Sud-Finistère.

Un jour de mai 1944, tout le lycée a été fouillé par les Allemands. J’avais sur moi des relevés que je devais remettre à Philippot. Notre professeur de français, dont on apprendra qu’il était lieutenant dans les FFI, a protesté quand les soldats ont fait irruption dans la classe. Il a entraîné les officiers allemands chez le proviseur. Il est seulement resté un garde dans notre salle de classe, un vieux soldat. Les élèves ont commencé à chahuter. Moi, j’étais au premier rang. Je voulais me débarrasser des trois feuilles de relevés. J’ai plié deux feuilles pour en faire des bateaux et une pour en faire un avion. J’ai engagé la conversation avec le soldat en lui parlant des cuirassés allemands et de la Luftwaffe et en m’expliquant avec mes bateaux de papier. A la fin, j’en ai fait des boulettes que j’ai jetées par terre. Heureusement, car les officiers sont revenus et ont fouillé mon sac et celui d’André, un copain. Ils sont repartis les mains vides.

Nous, à partir de ce jour-là, on n’a plus remis les pieds au lycée. On s’est cachés prs d’Audierne, chez un certain Trividic. Comme on n’avait pas d’armes, on a projeté de piquer les revolvers des gendarmes locaux. A défaut, on a volé celui d’un Feldgendarm dans une salle de bal réservée aux Allemands. Un revolver et six balles qu’on n’a pas gardés longtemps puisque le frère de Jojo nous les a confisqués!

Près des casemates, on avait aussi repéré des dépôts de munitions. On s’est dit alors qu’il devait y en avoir d’autres en ville, que ça pouvait être utile d’avoir des munitions parce qu’on parlait de maquis… Nos aînés, dont Jean, mon frère, apprenaient déjà à se servir de mitraillettes, toujours grâce au fameux Philippot! On a donc commencé à piller des dépôts allemands en 1944. Au début, on piquait cinq ou six grenades; à la fin, on y allait carrément avec des sacs! On a ainsi pu fournir des grenades à Jean et ses copains Éclaireurs et Routiers.  On est devenus des pourvoyeurs pour d’autres groupes de résistants.

Fin 1944, on a failli se faire prendre, mon copain Bob et moi. Des Allemands nous ont pris en chasse, place de la Tour-d’Auvergne. Deux side-cars nous sont tombés dessus et nous ont coursés dans les rues. On a dû se séparer. J’ai réussi à me mettre à l’abri mais je n’avais pas de nouvelles de Bob. C’est alors qu’on m’a dit qu’un jeune homme avait été tué par des Allemands en side-car du côté de la gare. J’ai décidé de le venger.

Il y avait, à Quimper, des convois en transit. Des camions quittaient Concarneau pour se rendre vers Brest ou vers la presqu’île de Crozon. J’ai pris mes grenades et j’ai « marché au canon », vers la sortie de la ville où les résistants tentaient de bloquer ces convois. J’ai attaqué un camion allemand en stationnement. J’ai balancé une grenade dans la cabine par le toit ouvert. Au même moment, un soldat allemand s’est redressé; la grenade l’a touché à la poitrine avant d’exploser. J’ai vu ce que cela donnait… Du coup, je suis reparti.

Après, j’ai appris que Bob n’était pas mort du tout, qu’il me cherchait de son côté. J’avais conscience d’avoir tué. J’en ai parlé à Philippot. Lui et mon prof de français, André Monteil, qui commandait les FFI de Quimper et qui deviendra député MRP (Mouvement républicain populaire) du Finistère, ont décidé que nous, les plus jeunes, nous devions être épargnés, que nous devions éviter de tuer à 16 ans. Ils ont décidé de nous rattacher au commandement. Nous, c’était un groupe de de vingt et un gars des Éclaireurs de France. On a continué comme approvisionneurs. moi, de toute façon, je ne voulais plus du tout me servir d’une arme. Au total, sur les vingt et un jeunes du groupe, sept seront tués.

Je me suis fait coincer pour de bon pendant les combats pour la libération de Quimper. Au retour d’une expédition dans un dépôt, je m’étais réfugié avec un autre garçon dans un bâtiment de la préfecture auquel les Allemands ont mis le feu. On a été capturés. Je me suis retrouvé attaché à un tuyau dans la cave de la Kommandantur, passé à tabac (ils m’ont cassé deux dents) pour me faire taire! J’ai réussi à m’évader pendant mon transfert vers la gare: j’ai sauté du camion et j’ai rejoint les copains qui ont eu du mal à me reconnaître tant mon visage était tuméfié.

Quand Quimper a été libéré, on été rattaché à la 6e compagnie du bataillon FFI de Quimper, comme gardes de l’état-major. Philippot pouvait ainsi nous avoir à l’œil. C’était à l’époque où les combats se poursuivaient entre le Menez Hom et Brest. Les accrochages étaient fréquents entre FFI et Allemands. Un jour, le PC (poste de commandement) a été encerclé et investi. L’état-major a dû se replier. Nous, ce jour-là, on servait de vigies du haut d’un clocher. On est restés là-haut pendant toute une journée. Les copains nous avaient oubliés!

C’est pendant cette période de combat, en août, qu’a eu lieu le bombardement de Telgruc, près de Crozon. Les canons allemands qui tiraient vers l’intérieur des terres devaient être détruits. La mission a été confiée aux FFI, appuyés sur les chars américains. Le 3 septembre, ils ont progressé mais l’aviation américaine ne le savait pas. Il y a donc eu un bombardement de Telgruc. Nous, on était restés bloqués à 5 ou 6 kilomètres, à cause d’une panne de camion. Ce qui nous a sauvé la vie.

Les bombes des B-17 ont tué 52 civils, 25 FFI et 11 soldats américains. Trois éclaireurs, dont Roger Le Braz, le chef du clan, ont été tués ce jour-là au cours du bombardement, qui a fait beaucoup de victimes civiles. A partir de là, le clan des Éclaireurs a changé de nom. Il s’appelait le « clan René-Madec » et il est devenu le clan « Roger-Le Braz ». C’est sous ce nom qu’il a été cité à l’ordre de la Nation.

Pour moi, ce bombardement marque la fin de la guerre. On est rentrés pour enterrer les gars à Quimper. Le chien de Roger Le Braz a suivi le cercueil de son maître.

J’ai alors été démobilisé, cinq jours avant de passer les épreuves du premier bac. J’avais déjà passé deux épreuves, français et latin, le 6 juin 1944; j’ai été reçu avec la mention « bien ». Mon année de philo a été détestable. Je n’aimais pas les cours de philo. Je séchais souvent mais j’avais une bonne raison: j’étais en « mission ». En fait, j’étais le porte-drapeau du clan. On m’appelait dès qu’il y avait une inauguration d’une rue qui portait le nom d’un résistant.

Je suis ensuite entré à l’Institut des hautes études cinématographiques. J’avais passé le concours d’entrée en 1946. Je suis alors parti pour Paris. Sans jamais perdre de vue les copains du clan, j’ai commencé une carrière de cinéaste »

Propos recueillis par Philippe Chapleau, Des enfants dans la Résistance (1939-1945), Ouest-France.    

Retranscrits par Ismaël Dupont qui remercie vivement notre ami France Chapa de St Malo, qui a bien connu René Vautier au sein de la fédé PCF d’Ille-et-Vilaine et lors des fêtes de section, pour nous avoir fait découvrir ce texte.

Témoignage de René Vautier dans « Caméra en dissidence » sur sa Libération et sa résistance en Finistère:

 » Dans les vieilles rues de Quimper, le général de Gaulle a été acclamé par une foule en délires. Il était précédé par le groupe René Madec des éclaireurs de France de Quimper, entourant le drapeau du Clan décoré de la croix de Guerre avec l’étoile d’argent et le coussin sur lequel étaient épinglés les décorations des jeunes morts au combat ». On pouvait lire ces lignes dans « Le Télégramme de Brest et de l’Ouest », en 1944 ou 1945 (je ne me souviens plus très bien de la date de la première visite chez nous du Général, c’est grave?).

Le « Groupe René Madec » ou « corps-franc Vengeance », c’était nous. Le Général de Gaulle s’était fait expliquer les « hauts faits » de ces jeunes décorés en culottes courtes – et, laconiquement – peut-être un peu vexé aussi parce que nous avions été, à Quimper, au moins aussi applaudis que lui! – il avait laissé tomber, saluant le drapeau que tenait Jo Legrand: « Ces jeunes ont suivi avec honneur la pente naturelle qui les menait vers la Résistance ».

Bob, avec un certain irrespect, mais bombant fort la poitrine où brillait sa croix de guerre (je devais bomber tout autant de mon côté), Bob avait sussurré entre les dents: « C’est ça, mon con, on a eu qu’à se laisser glisser sur le cul! » Mais en fait, je crois qu’il avait raison, le Général: dans notre milieu, il y a bien eu « pente naturelle » de la résistance – « pente naturelle » beaucoup plus que choix réfléchi.  » …

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

1920-2020: 100 ans d’engagements communistes en Finistère. 6/ Denise Firmin née Larnicol (1922-2019)

1920-2020: 100 ans d’engagements communistes en Finistère.

6/ Denise Firmin née Larnicol (1922-2019)

Voici des extraits de l’hommage qui lui a été rendu par son petit-fils Frédéric, lors de ses obsèques à Lesconil le 19 janvier 2019

https://bigouden1944.wordpress.com/tag/lesconil/

 

Hommage à Denise Larnicol

Elle était parmi les personnes les plus âgées de notre village. Elle était de ces grandes familles de Lesconil qui ont pour la plupart disparu. Denise, nous le savons tous, était une militante au sens le plus noble ; mais c’était aussi, par sa vie, un témoin privilégié du XXème siècle qui, s’il lui apporta tristesse et chagrin, sut lui donner aussi beaucoup de joie.

Morte à l’aube de ses 97 ans, Denise, par la longueur considérable de son existence, fut un témoin exceptionnel des grands bouleversements et plus particulièrement des moments les plus sombres que connurent la France et le monde au cours du XXème siècle.

Née le 5 février 1922 au pied de la butte de Ménez-Veil, elle était la fille de Louis Larnicol et de Victorine le Fur, tous deux issus de familles anciennement installées à Lesconil.

Louis, propriétaire d’un petit bateau dont le nom – « Egalité » – exprimait avec pertinence et simplicité les idées progressistes qu’il avait adoptées, était l’un des enfants du célèbre meunier conteur dont les récits inspirèrent et nourrirent les recueils de Marcel Divanach qui, originaire du quartier, avait eu le bonheur d’assister aux veillées qu’il animait dans sa chaumière. Victorine, quant elle, originaire de Kerandraon, haut de la grand’rue actuelle, était la fille d’un marin, Jean le Fur (Yann ar Fur) et de Anna Draoulec que tout le monde désignait par la forme bretonne de son prénom « Nagen Draoulec ».

Quelques années après sa naissance, Denise changea de quartier pour s’installer à proximité du Temple avant que ses parents ne décident d’entreprendre, non loin de là, au fond d’un chemin que l’on allait baptiser plus tard « rue du Temple », l’édification d’une maison qu’elle ne quittera plus.

A l’école, dès le début, Denise se passionna pour le savoir et, naturellement, se fit remarquer par l’excellence des résultats qu’elle obtenait dans toutes les disciplines comme en témoigneront toujours ses anciennes camarades de classe. Cela fut toujours l’objet pour ses parents d’une indéniable fierté. Ayant obtenu brillamment son certificat d’étude, sésame des enfants du peuple de cette Troisième république de la méritocratie, elle choisit pourtant, contre les conseils de son père, disposé à financer ses études secondaires, de travailler à l’usine pour demeurer dans la compagnie de ses amies. Elle se rendra cependant très rapidement compte de l’erreur commise et nous fera part, jusqu’à la fin de ses jours, des regrets de ne pas avoir suivi les sages conseils paternels.

Mais vinrent les heures sombres. La déclaration de guerre avec l’Allemagne d’Adolphe Hitler, en septembre 1939, allait constituer le commencement de la période la plus dramatique de sa vie. C’est devant le mur du Temple, en présence de ses parents et des habitants du quartier, qu’elle assista à l’entrée triomphale des troupes de la Wehrmacht à Lesconil, dans une atmosphère, comme elle le dira toujours, chargée d’un silence inquiétant. Cette angoisse était, à l’évidence, prémonitoire, car, les quatre années qui suivirent furent pour sa famille proche, comme pour bon nombre de Lesconilois, le temps de ce que l’on pourrait qualifier bibliquement d’une véritable Apocalypse.

Membres très actifs du Parti communiste et patriotes authentiques, son père et ses cousins de la famille Larnicol entrèrent immédiatement en résistance, refusant la politique de collaboration du maréchal Pétain et toute forme d’attentisme.

Les combles de l’antique chaumière des Larnicol au Ménez-Veil furent aussitôt choisis pour abriter les premières armes, les tracts et les journaux clandestins, au péril de la vie de ses oncles et tantes tandis que son cousin, Alain le Lay, révoqué de l’Éducation nationale pour ses opinions politiques, ne cessait de parcourir la Bretagne afin d’organiser et de structurer un vaste mouvement de résistance. Mais les missions dont il était chargé s’arrêtèrent brutalement en 1941 lorsqu’il fut arrêté dans le train, le 12 novembre, par des gendarmes français, abominables sicaires de Pétain et de sa clique de traîtres. Livré aux Allemands et déporté à Auschwitz, il y mourut le 4 octobre 1942 à Birkenau. Louis Larnicol, autre cousin, également chassé de l’Éducation nationale, fut, quant à lui, fusillé à l’école Saint-Gabriel de Pont-l’Abbé, le 12 juin 1944, après avoirs subi d’horribles sévices dont les traces physiques poussèrent sans doute les Allemands à faire disparaître son corps qui ne fut jamais retrouvé. Pierre Quéméner, un autre cousin, fut fusillé, avec d’autres camarades, dans les dunes de la Torche. Fille unique, Denise se retrouvait donc, lorsque la paix revint, privée d’une partie des parents de son âge et de ses amis les plus proches.

Il convenait de faire le deuil et de passer à autre chose. La vie continuait. Denise épousa René Firmin de Larvor et donna naissance à Louis-René et, un an plus tard, à Marie-Pierre. Il fallut agrandir la maison de Victorine pour y loger confortablement la petite famille. Les années passèrent ; chacun suivit son destin : René Firmin allait en mer et Denise travaillait chaque été dans les cuisines du centre de loisir de la SNCF. Cette activité lui plaisait car, lorsqu’elle fut en retraite, elle en parlait souvent, toujours avec émotion (…).

Une humaniste communiste militante

D’un bout à l’autre de sa longue vie, Denise ne cessa d’être une militante. Jamais elle ne s’arrêta de combattre activement aux côtés de sa famille idéologique, le Parti communiste.

Dès la fondation de ce mouvement, lors du congrès de Tours en décembre 1920, son père avait officiellement adhéré à ce courant révolutionnaire qui, dans le sillage tracé par la révolution d’octobre 1917, voulait mettre un terme à l’odieux système capitaliste fondé sur l’exploitation des travailleurs et des petits. Membre actif et incontournable du syndicat des marins, Louis Larnicol éleva donc sa fille dans une ambiance imprégnée de militantisme. C’est à cette époque qu’elle se familiarisa, comme tant d’autres enfants de Lesconil, avec les luttes sociales parfois intenses dont les ports bigoudens étaient le théâtre.

Devenue adulte et jusqu’à ce que ses forces le lui permirent, Denise fut de la plupart des manifestations que l’on organisait lorsqu’un acquis social obtenu durement par les anciens, comme l’on disait, était menacé. Ainsi, dans les années 1980, elle défila dans les rues de Pont-l’Abbé pour le maintient de l’usine Saupiquet et s’activa vigoureusement pour empêcher la fermeture de l’usine Raphalen de Plonéour-Lanvern et de la conserverie COOP du Guilvinec. A chaque fois qu’un membre du Comité central de la place du Colonel Fabien organisait une réunion dans la région, elle figurait au nombre des participants, généralement en compagnie de sa complice et fidèle cousine Anita Charlot. Je me souviens par exemple l’avoir accompagné à un meeting organisé à Brest, lors de la campagne présidentielle, en vue de soutenir la candidature d’André Lajoinie. Je pus mesurer, et j’en fus impressionné, à quel point l’esprit militant qui l’imprégnait, elle et ses camarades (Anita, Lita Quéméner, Marthe Brenn…), était puissant et quasiment religieux.

Pleinement dévouée aux idéaux d’égalité et de fraternité, c’est naturellement qu’elle s’investit très rapidement dans les causes relatives au pacifisme et, plus récemment, à l’écologie. Il s’agit d’ailleurs, sans nul doute, de la raison qui la poussa à prendre part à un rassemblement organisé en faveur de la disparition des armes nucléaires. Elle fut d’ailleurs enchantée d’y avoir rencontré le sulfureux monseigneur Gaillot dont elle me montrait régulièrement, non sans fierté, les photos qu’elle avait prises de lui.

Finalement, chers amis, une image suffit à résumer l’humaniste et la militante qu’elle fut : celle de Denise juchée sur sa bicyclette bleue à sacoches parcourant notre cher village de Lesconil et ses environs pour remettre aux camarades et aux sympathisants le journal qu’ils attendaient, Leur Journal, celui fondé par le Grand Jaurès : l’Humanité.

En somme, le communisme de Denise fut comme celui de la grande majorité des Français qui croyaient à l’avènement d’un monde meilleur, comme celui mis en poème par Aragon ou celui chanté par Jean Ferrat : un humanisme imprégné d’un profond patriotisme.

1920-2020 – 100 ans d’engagements communistes en Finistère. 5/ Fernand Jacq (1908-1941)

1920-2020 – 100 ans d’engagements communistes en Finistère.

5/ Fernand Jacq (1908-1941)

Né à Granville (Manche) le 12 janvier 1908Fernand Jacq est issu d’une famille de fonctionnaires (père douanier, mère employée des PTT). Ses parents quittent peu après sa naissance la Normandie pour la Bretagne et Fernand grandit en Finistère, dans la petite commune de Pleyber-Christ.

Élève studieux et brillant malgré une santé fragile, il s’oriente vers des études de médecine et sort diplômé de la faculté de Rennes, ville où il rencontre sa femme. En 1933, il revient dans le Finistère, d’abord à Querrien, puis s’installe au Huelgoat comme médecin, terminant sa thèse de doctorat en médecine en 1934.

Communiste, sa mère écrit en 1945 dans une brève biographie de son fils, qu’elle l’interrogea avant guerre sur son engagement politique. Il lui répondit : « Parce que j’ai eu faim ! et que je travaille pour qu’il n’y ait plus de misères ».

En effet, dès 1930, Fernand Jacq adhère au Parti Communiste Français alors qu’il est étudiant à Rennes. Il devient conseiller municipal au Huelgoat en 1935, puis participe à sa restructuration après son interdiction en septembre 1939.  Il fut élu municipal à Huelgoat de 1935 à 1939. En 1935, la liste communiste aux municipales, composée de huit artisans, quatre cultivateurs, un instituteur et deux retraités, avait devancé la liste SFIO, obtenant ainsi trois élus. En 1937, Fernand Jacq était candidat du PCF aux cantonales à Huelgoat ; il se désista en faveur de Pierre Blanchard (SFIO), élu au second tour avec 55 % des voix face au radical François Le Dilasser.

Fernand Jacq était en même temps secrétaire de la section de Huelgoat, membre du comité régional du PCF.

L’arrivée de la guerre

Lorsque la guerre éclate, Fernand Jacq est contrarié de n’être pas mobilisé. Il est réformé pour raison de santé mais adresse un courrier au préfet du Finistère par lequel il demande d’être incorporé dans un régiment quelconque. Il souhaite, d’après le témoignage de sa mère, être aux côtés de ses camarades dans le combat. Toutefois, sa demande est rejetée et il est contraint d’attendre l’arrivée des Allemands au Huelgoat.

A l’arrivée des troupes d’occupation à Pont-Aven, commune de résidence de ses parents, un notaire menace et rappelle les engagements politiques de Fernand Jacq au père de ce dernier. Il déclare espérer que le médecin sera bientôt fusillé. La famille vit alors dans une inquiétude perpétuelle. Le médecin est en effet déchu de son mandat politique par le Gouvernement de Vichy. Le médecin est empêché par les Allemands et sa mairie collaboratrice de circuler en voiture dès la fin 1940 (il n’a pas de bons d’essence pour ses déplacements).   » Qu’importe, il est allé de village en village, à pied ou à bicyclette, dans la boue ou la neige, apporter aux malades soins et réconfort moral. Sensible au courage quotidien des paysans des Monts d’Arrée arrachant à une terre ingrate une maigre subsistance, il en est aimé à cause de sa simplicité et de sa générosité » (Fernand Grenier).

Naturellement, Fernand Jacq rejoint la Résistance en adhérant en 1941 au Front national de lutte pour la libération et l’indépendance de la France. Il procède à de nombreux recrutements et est l’un des organisateurs des premiers groupes de FTP (Francs-Tireurs et Partisans) dans le Finistère. En juin de la même année, il est désigné comme responsable départemental du Service Sanitaire et réussit rapidement à mettre sur pied les éléments d’une organisation qui rend de grands services à la Résistance.

Arrestation et internement

Fernand Jacq est arrêté le 3 juillet 1941, probablement victime d’une des innombrables lettres de délation envoyées aux autorités sous l’Occupation. Il est immédiatement conduit dans le camp d’internement de Choisel, à Châteaubriant (Loire-Inférieure), section politique, baraque 7. Voici son témoignage le lendemain de son arrivée (correspondance à ses parents) :

Dans les lettres suivantes adressées à sa famille, le Docteur Jacq ne renie jamais ses engagements et redit sa fierté de partager le sort de millions d’Hommes, d’être enfermé à Choisel au milieu de camarades constituant « l’élite de la France ». Il écrit aussi : « Il y a plus d’intelligence ici que dans n’importe quel lycée de France et nous vivons dans l’attente d’un avenir que nous sentons très proche, avec la certitude de la victoire ». Toutes ses lettres dénotent d’une grande foi en l’avenir et la victoire finale du camp de la Liberté.

L’abattement n’est donc pas de mise et Fernand Jacq est très actif dans le camp. Il dispense durant sa captivité des cours de breton pour les autres otages du camp et met en place une chorale bretonne.
Côté population, il faut aller chercher dans la correspondance préfectorale pour mesurer l’émoi suscité par l’arrestation du médecin. En décembre 1941, en effet, deux courriers du Sous-Préfet de Châteaulin sont transmis à son supérieur direct, le Préfet du Finistère.

Il demande la grâce du Docteur Jacq, assortie d’une mesure d’éloignement du département.

La raison de cette démarche volontariste du Sous-Préfet transparaît clairement dans ses écrits. La population « … commence à le (Fernand Jacq) considérer comme un héros ». La libération par les autorités à la période de Noël « … dissipera définitivement le malaise dont j’ai pu être témoin depuis quelques semaines au cours de mes tournées dans la région susvisée ».

L’arrestation de Fernard Jacq choque donc bien la population du Huelgoat, à tel point que le Sous-Préfet de Châteaulin semble craindre que son maintien en détention ne constitue un danger dans le rapport des autorités avec la population locale.

Cette initiative du Sous-Préfet restera toutefois lettre morte, intervenant trop tardivement

Dernière lettre de condamné de Fernand Jacq -document archives Départementales du Finistère

Les Neuf de la Blisière

En effet, à la suite d’attentats à Paris, les Allemands décident de fusiller 100 otages ; neuf seront pris dans le camp de Choisel. Parmi eux figure Fernand Jacq. Vers midi, le 15 décembre 1941, les feldgendarmes conduisent les neuf otages en plein cœur de la forêt de Juigné, au bord de l’étang de La Blisière où ils sont exécutés aux alentours de 15 heures.

Au moment du départ des otages pour le lieu de l’exécution, les prisonniers du camp de Choisel s’étaient mis à entonner la Marseillaise, certains chantèrent le Bro gozh ma zadoù (hymne national breton), d’autres enfin entonnèrent l’Internationale en breton.
L’espoir et la résistance à l’oppression ne quitta pas ces hommes comme en témoigne encore la dernière lettre de Fernand Jacq, lettre d’adieux rédigée à ses parents le jour même de l’exécution.

Fernand Jacq ne manque d’ailleurs pas de rappeler dans cet écrit que lui et ses camarades ne sont pas les premières victimes de l’occupant au camp de Choisel et commémore les fusillés du 22 octobre 1941. Ce jour là, en représailles à l’assassinat du commandant de Nantes, le Feldkommandant Fritz Holtz, les Allemands avaient fusillés 27 détenus du camp de Choisel dont le jeune Guy Môquet (17 ans).

L’émotion est grande à la mort du médecin du Huelgoat. Les premiers témoignages d’afflictions des proches de la famille en attestent bien sûr, mais c’est à la libération qu’on mesurera l’impact qu’eurent ces exécutions arbitraires de civils parmi la population française.

Médecin de campagne, médecin des pauvres, profondément humaniste, Fernand Jacq était considéré comme une sorte de « saint laïc » à Huelgoat, dans la montagne rouge de l’Arrée. Au camp de Châteaubriant, il avait ouvert des cours de breton et monté un groupe de chant choral. Il était très estimé dans toute la région d’Huelgoat où il fit campagne pour le développement de l’hygiène. Acquise aux communistes dès 1921, la mairie du Huelgoat fut marquée par la dissidence de Corentin Le Floch (ancien SFIO et PCF), avant de devenir le fief d’Alphonse Penven entre 1945 et 1989. Selon Pierre Guyomarh, ancien FTP, cité par Fernand Grenier (Ceux de Châteaubriant), la mort de Fernand Jacq va susciter « une vive recrudescence de l’activité patriotique dans tout le Finistère et fera lever de nombreux combattants décidés à venger Jacq et à chasser l’envahisseur ».

Extrait de l’ultime message de Fernand Jacq:

« La mort naturelle libère l’humanité de ses fragments usés; la mort violente donne par réaction une énergie nouvelle à cette humanité. Toute ma vie, j’ai lutté contre la guerre et pour une vie meilleure, pour le progrès. Les morts sont de grands convertisseurs. Ma mort sera utile… »

Fernand Jacq après l’exécution des 27 otages communistes et cégétistes à Châteaubriant le 22 octobre 1941 avait refusé, au camp de Choisel, avec la grande majorité des 700 détenus (seuls 20 firent exception), de signer une déclaration d’allégeance à Pétain qui aurait pu le sortir des listes d’otages potentiels à fusiller en cas d’attentat contre les troupes d’occupation allemandes.

Il est fusillé le 15 décembre alors qu’il n’a que 32 ans avec un autre docteur, Louis Babin, l’instituteur Paul Baroux, le charpentier Maurice Pillet, le secrétaire de la fédération CGT des Produits Chimiques René Perrouault, Adrien Agnès, agent technique, les métallos Raoul Gosset et Georges Vigor, le jeune ouvrier Georges Thoretton.

Quand son nom est prononcé pour l’appel des condamnés, Fernand Jacq travaille à une étude avec les médecins Ténine et Pesqué sur la médecine sociale.

« Les neuf appelés sont amenés devant le bureau. Ils sont aussitôt enchaînés. Ils montent dans les camions, la tête haute. Le 22 octobre se renouvelle avec la même émotion. La « Marseillaise » éclate puis le « Chant du Départ ». Tout le camp chante avec eux, jusqu’à ce que disparaissent au tournant de la route les deux véhicules… C’est aux abords de la forêt de Juigné, en un lieu enchanteur, La Blisière, que le crime va être consommé ». Les Allemands, rapporte le grand résistant communiste Fernand Grenier dans Ceux de Châteaubriant voulaient éviter de faire traverser Châteaubriant aux condamnés pour les emmener à la sablière comme les 27 fusillés du 22 octobre tant l’émotion était grande dans la ville de Loire-Inférieure après ce crime. Ils avait décidé d’assassiner au fond d’un bois, loin de toute agglomération. Les 9 condamnés à mort communistes furent attachés aux arbres dans la forêt. Le crépitement des balles fut entendu des fermes proches. Le même jour, Gabriel Péri tombe au Mont Valérien et Lucien Sampaix, secrétaire général de la rédaction de l’Humanité, à Caen.

 

Sources:

 

 

 

Ceux de Châteaubriant, Fernand Grenier (éditions sociales, 1961)

 

 

 

 

 

 

 

 

1920-2020: 100 ans d’engagements communistes en Finistère. 4/ Corentine Tanniou (1896-1988)

1920-2020: 100 ans d’engagements communistes en Finistère.

4/ Corentine Tanniou (1896-1988)

Nous empruntons cet article à notre ami Gaston Balliot et à son excellent blog sur l’histoire sociale et politique du pays Bigouden.

 

Un couple de Résistants de la première heure
Marie-Corentine et Pierre Tanniou 

Tanniou Corentine, née Nicolas le 16 novembre 1896, à Combrit était brodeuse à l’origine. Mariée en première noces à Albert Dornic, militant communiste, elle l’aide dans ses tâches militantes. Celui-ci décède en 1928, atteint d’une tuberculose contractée au front durant la guerre 14-18.

Veuve, elle se remarie à Pierre Tanniou, né, quant à lui le 1er février 1888 à Pont-L’Abbé. Corentine et son mari adhérent au PCF dès le début de l’occupation allemande alors qu’ils sont déjà  « la boîte aux lettres » du PCF à Pont-L’Abbé depuis son interdiction par le gouvernement Daladier en septembre 1939..

Fin 1941 et en 1942, leur tâche était de recevoir à leur domicile, rue de la Gare à Pont-L’Abbé, des colis de tracts et de journaux ( «  l’Humanité » , « La vie ouvrière » et autres journaux et tracts du PCF clandestin et plus tard ceux du « Front National » ) venant de Paris par le train, via Quimper. Ils répartissaient tout ce matériel entre les groupes clandestins en Pays bigoudens. Qui pouvait imaginer que cette vieille petite bigoudenne transportait une telle « marchandise » dans son grand cabas ? Ils hébergent fréquemment des Résistants en mission. Fin 1942, Corentine et Pierre sont arrêtés en même temps par des policiers français. Corentine sera relâchée faute de preuves et d’aveux, après un séjour à la prison surpeuplée de Mesgloaguen à Quimper. Mais Pierre aura moins de chance et sera détenu à la prison de Quimper puis au camp de Pithiviers deux années durant, jusqu’à la Libération.

Biographie établie par Jean Kervision sur la base des biographies de l’ouvrage de Eugène Kerbaul : « 1918-1945 , 1640 militants du Finistère » 

Corentine est décédée à l’âge de 92 ans. En 1983, elle se présentait à Pont L’Abbé sur la liste municipale du Parti communiste, prouvant ainsi la fidélité à son engagement.

Gaston Balliot : J’ai très bien connu Corentine à Pont L’Abbé mais hélas à l’époque je n’ai pas recueilli ses récits passionnants. Elle utilisait la réserve de son magasin rue Victor Hugo, prés de la gare de Pont L’Abbé, comme cachette pour la Résistance, et dissimulait dans son sac de bigoudène certains « objets illicites ».

On m’a apporté une cassette audio dans laquelle Corentine raconte « sa Résistance ». Cet enregistrement date de décembre 1979 – Corentine avait 83 ans – et la qualité audio n’est pas très bonne, j’ai donc ajouté une transcription téléchargeable en PDF (seuls quelques petits bouts de phrases peu audibles manquent).

Téléchargement de la transcription.

 

Corentine Tanniou Dornic est la bigoudène située au centre, elle est entourée de Rol Tanguy (chef FFI qui a libéré Paris, ancien métalo né à Morlaix, ancien des Brigades Internationales), Paul Le Gall (futur secrétaire départemental du PCF Finistère Sud), Alain Signor, responsable communiste depuis l’avant guerre, résistant, député à la Libération, et Pierre Le Rose (archives Pierre Le Rose).

 

 

1920-2020 – 100 ans d’engagements communistes en Finistère. 3/ Albert Rannou (1914-1943)

1920-2020 – 100 ans d’engagements communistes en Finistère.

3/ Albert Rannou (1914-1943)

Albert Rannou ancien lieutenant des brigades internationales en Espagne, a été fusillé au Mont-Valérien (Suresnes, Seine, Hauts-de-Seine) le 17 septembre 1943 en même temps que 18 autres communistes brestois ou résidant à Brest: Lucien Argouach, Albert Abalain, André Berger, Louis Departout, Yves Guilloux, originaire des Côtes-du-Nord, Eugène Lafleur, venu de Paris, Louis Le Bail, Paul Le Gent, Paul Monot, Henri Moreau, Jean-Louis Primas, un ancien des Brigades Internationales en Espagne, Jean Quintric, Albert Rolland, Etienne Rolland, Joseph Ropars, Jean Teuroc, Charles Vuillemin, et Louis Leguen

Fils de Jean Rannou, maçon, et de Marie-Anne Coat, couturière, Albert Rannou, ouvrier maçon, adhéra au Parti communiste en 1935. L’année suivante, il devint membre du comité de section à Brest (Finistère). Volontaire dans les Brigades internationales en Espagne, il y devint lieutenant du génie et fut grièvement blessé.
Dans la Résistance, il fut chef de groupe communiste, puis de l’Organisation spéciale (OS) et enfin d’un groupe de Francs-tireurs et partisans (FTP). Il se chargea de transports d’armes et participa à certaines actions, comme l’attentat contre la Kommandantur de Brest et celui contre la station électrique de l’Arsenal de Brest*.
Il fut arrêté le 2 octobre 1942, interné à la prison Jacques-Cartier de Rennes (Ille-et-Vilaine), transféré à la prison de Fresnes (Seine, Val-de-Marne) et condamné à mort par le tribunal allemand du Gross Paris, qui siégeait rue Boissy-d’Anglas (VIIIe arr.), le 28 août 1943.

Jacques Guivarch, ancien adhérent du PCF comme son père Jean, tous les deux tour à tour anciens commerçants à Saint-Martin des Champs à la marbrerie Guivarch de la barrière de Brest, a fait lire et confié à Alain David et à Ismaël Dupont, ces doubles de lettres de prison d’Albert Rannou qui se trouvaient dans une commode du père de Jacques, ancien résistant du maquis de Morlaix, militant communiste, raflé dans un premier temps le 26 décembre 1943 à Morlaix avant d’être relâché (il cachait des tracts de la résistance sous le landau de Jacques Guivarch, qui avait quelques semaines à l’époque), ce dernier les ayant peut-être reçu de la famille de ces résistants condamnés à mort ou par un autre canal. Étaient-ils des connaissances? Des amis? Ou étaient-ce les parents de Jacques Rannou qui ont voulu confier ces lettres à un militant communiste et un ancien résistant?

 

Il y a dans le lot de 30 pages photocopiées les copies des dernières lettres de deux autres résistants condamnés à mort dont l’exécution a eu lieu en même temps que celle d’Albert Rannou, le 17 septembre 1943.

Les lettres originales d’Albert Rannou, s’étalant sur 6 mois du 20 mars 1943 au 17 septembre 1943, ont été remises il y a quelques années au frère d’Albert Rannou.

Il faut les lire dans leur intégralité, car au delà de l’apparente trivialité de certaines lettres et du caractère bouleversant et pleins de hauteur tragique de plusieurs autres, et notamment de la lettre écrite le jour de l’exécution, elles livrent beaucoup du quotidien des résistants prisonniers et de leurs préoccupations, ainsi que de l’état d’esprit, des informations et des espoirs d’un résistant arrêté en 1943.

Elles témoignent aussi d’une foi inébranlable dans les idéaux communistes et en la victoire prochaine.  

Ces lettres sont présentées dans l’ordre chronologique. Les fautes d’orthographe les plus évidentes ont été corrigées par souci de compréhension. Certains passages sont peu lisibles et dans ce cas indiqués comme tels.

 

Fais en Prison de Rennes le 20 mars 1943

Bien chers Parents,

Je suis bien content d’avoir eu du papier à lettres ce matin pour pouvoir vous donner de mes nouvelles qui sont toujours pour le mieux. Je m’habitue peu à peu à une vie de prisonnier. Si ce n’était l’insuffisance de nourriture et le manque de tabac, on arriverait peut-être à s’y faire à la longue.  J’ai reçu une lettre du 3 Février de Papa et 2 de maman du 15 Février et du 15 Mars, avec plaisir de vous savoir toujours en bonne santé. Mais je suis peiné de voir que vous vous faites du mauvais sang à mon égard. Il n’est point besoin de vous en faire pour moi, on n’est pas si malheureux que vous le supposez ici, on est bien couché. C’est déjà une bonne chose. Là il aurait fait froid autrement et je n’ai pas à me plaindre des gardiens, qui sont corrects envers nous. Ce matin, je suis bien heureux, car à partir d’aujourd’hui on peut m’envoyer des colis. Je ne sais toujours pas jusqu’à quel poids ni rien, mais la Croix Rouge vous l’a peut-être expliqué. Envoyez moi un peu de savon ainsi qu’un peigne et surtout à manger si vous trouvez quelque chose de nourrissant avec, tel que beurre ou fromage car on manque surtout de matière grasse. Crêpes, biscuit ou même du pain. Je ne crois pas avoir le droit à mon tabac. Mettez-moi un peu quand même, on verra bien. Je vous le dirai car j’aurai sans doute le droit de vous écrire toutes les semaines maintenant. Maman pourrait peut-être me faire une autre paire de chaussons car ceux-ci commencent à s’user. C’est embêtant de ne pas avoir de nouvelles de Yfic non plus ni de sa femme. Quand vous en aurez, ça sera peut-être pour vous annoncer que vous êtres grand-père et grande mère. Moi ça ne me déplairait pas que l’on m’appelle « tonton » un jour aussi, vous ne pouvez pas vous imaginer combien j’ai le loisir de penser à vous tous ici. J’ignorais l’affectueux sentiment dont était doué le coeur d’un homme vis-à-vis de ses proches mais seul tout le temps, on a que ça à faire du matin au soir. Revoir en pensée les êtres qui nous sont chers en attendant d’être parmi eux un jour. Je termine en vous embrassant de loin.

Votre fils Albert.

***

Fais à la Prison de Rennes le 27 Mars 1943

Chers Parents,

Depuis bientôt trois semaines, je n’ai pas eu de vos nouvelles, mais je pense que la santé est bonne. Quand à moi, ça va aussi, surtout maintenant que je puis vous écrire. Je vous sais plus heureux. J’espère au moins que vous avez reçu ma lettre de samedi dernier vous annonçant que j’ai le droit de recevoir des colis. Avec quelle joie il sera reçu ce premier paquet. Double joie, d’abord la joie d’avoir quelque chose de vous, et ensuite, de pouvoir se mettre un peu plus sous la dent (illisible)… Si malgré ces temps de restriction, vous pouvez trouver encore de quoi m’envoyer tant soit peu, toutefois sans vous priver, je crois que de votre vie, il y a le temps pour m’écrire, ce n’est pas un reproche que je vous fais, loin de moi, parce que je sais ce que c’est, loin de moi, (illisible) mais seul, ici on s’ennuie, à défaut de nouveau, c’est qu’il ne doit rien avoir de sensationnel à raconter de Guimiliau… (illisible). J’ajoute que vous m’envoyez un peigne et du savon, et à maman de bien vouloir me préparer une paire de chausson. Car dans la cellule ici, je les use beaucoup ne mettant mes sabots que pour le quart d’heure de promenade dans la cour. En attendant de vous lire je finis cette missive en vous embrassant bien affectueusement tous les deux et en pensant à mon frère Yves et à Marie-Louise (je crois que c’est ça le prénom de sa femme). Bien le bonjour à toute la famille par ailleurs, et dites leurs que je ne les oublie pas.

Donc sur ceux je vous quitte. Votre fils Albert.

***

Fais à la Prison de Rennes, le 3 Avril 1943 

Mes Chers Parents

Aujourd’hui je suis transporté d’allégresse, tous les bonheurs m’arrivent à la fois. Je viens de recevoir la lettre de Papa avec le message de mon frère et de ma belle-soeur. Jugez comme je suis heureux à présent de vous savoir tranquillisé sur leur sort. J’ai reçu la lettre de Maman aussi mardi datée du 18 mars (j’espère que vous recevrez la mienne toutes les semaines également) avec ça jeudi matin j’ai eu le plaisir de recevoir votre premier colis; comment (illisible) et le lard qu’est-ce qu’il est bon (illisible) poisson d’avril, c’était bien réussi. Et hier au soir, quand j’ai vu le gardien rentrer dans ma cellule avec un paquet, je n’en croyais pas mes yeux, quand je l’ai vu déballonner tout ça devant moi je me demandais si je ne rêvais pas. Aussi quand le soldat fut sorti, j’en pleurai de joie. Je me demandais par quoi commencer. Enfin j’ai mangé le pain avec du lard et des oeufs et bien entamé la crêpe avec le beurre (illisible) qui est toujours délicieux. Pour finir, une bonne pipe de tabac frais la dessus, rien de tel pour vous remonter un bonhomme. Aussi je vois qu’il est possible d’être heureux même en prison; quand on est choyé par les siens, comme je suis, et surtout d’avoir reçu des nouvelles d’Yfic; je n’ai plus d’inquiétude de ce côté là. J’ai assez de savon et de mouchoir comme ça, merci pour les chaussons et le peigne aussi car l’autre n’a plus que 3 dents. J’ai le droit de recevoir tout ce que je veux ici donc s’il est possible, et sans vous priver, profitez-en de m’envoyer car après on ne sait jamais si on pourra recevoir quelque chose, au premier mettez-moi une boîte d’allumette et un carnet de feuille et à chaque fois des journaux récents, car je ne sais absolument rien du dehors ici. J’ai droit au pinard aussi, mais ça je n’ai pas besoin, d’ailleurs j’ai une chopine le jeudi et le dimanche de la cantine en payant. J’ai même un quart de café tous les matins et une tranche de pâté et de la confiture le dimanche avec l’argent que j’ai en dépôt ici, la prochaine fois je vous retracerai mon emploi du temps quotidien en prison. Je comprends combien vous avez dû être malheureux avec tout ça depuis six mois, mais j’espère que le plus dur soit passé pour moi. J’ai le bon moral et je pense qu’il en est de même avec vous. Je termine ma lettre en vous embrassant de tout coeur. Votre fils Albert (dites-moi si vous recevez mes lettres).

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Fais à la Prison de Rennes, le 10 Avril 1943

Bien chers Parents

Encore huit jours de passés depuis que je vous ai écrit. La santé est toujours bonne, et j’espère qu’il en est de même avec vous, depuis lundi on m’a mis avec d’autres camarades, dans une plus grande cellule. Je m’ennuie moins à présent après avoir passé 65 jours tout seul, c’est drôle de pouvoir causer avec quelqu’un, avec ça j’avais juste fini mes colis, mais mes copains venaient d’en recevoir et en ont eu encore depuis, donc j’ai pu manger à ma faim à peu près depuis le (illisible) de ce mois, je regrette de ne pas vous avoir dit plus tôt de m’envoyer des pommes de terre cuites dans les colis, comme ça vous auriez pu m’envoyer davantage, il est vrai que le transport aussi doit être assez cher, mais quelques livres de patates en plus par semaine feraient du bien. J’espère recevoir quelque chose de vous sous peu. J’aurai le plaisir de pouvoir partager avec mes collègues de cellule à mon tour. Autrement, voici ce qu’on a ici: à peine un quart de jus avec la cantine et la ration de pain de la journée (350 grammes environ) qui est avalée tout de suite naturellement, après on a 1/4 d’heure de promenade dans une petite cour. Entre 9 heure et 10 heure la soupe, deux louches (d’un quart environ) de bouillon et de légumes. Carottes (illisible) avec des rutas et des navets. Après ça (illisible)… en supplément le soir, à 4 heures repas du soir, une louchée de bouillon ainsi qu’une louchée de patates, haricots ou pois cassés, sauf le dimanche où c’est nouille et un morceau de viande, donc vous voyez que quand il n’y avait rien à ajouter à ces plats cétait maigre. Heureusement qu’on peut recevoir des colis maintenant,  ça relève drôlement. En attendant de vous lire et de recevoir quelque chose de votre part, je finis ma lettre en vous embrassant de loin. Votre fils qui ne cesse de penser à vous ainsi qu’à mon frère et belle-soeur. Albert.

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Fais à la prison de Rennes, le 24 avril 1943

Mes Chers Parents

Je n’ai plus le droit de vous écrire que tous second samedi, donc vous devez sans doute attendre cette lettre depuis un moment. La santé est toujours bonne. J’ai eu un abcès à une dent au début de la semaine mais c’est guéri à présent. J’ai eu deux lettres de maman du 5 et du 12 avril, heureux de savoir que vous allez bien. J’ai également reçu un colis il y a 15 jours et un autre dimanche matin. Je devais écrire avec Jo Ropars mais depuis une huitaine on ne peut plus se voir, ils ne nous envoient plus ensemble à la promenade. J’espère que vous êtes en bonne santé mais que vous devez attendre impatiemment la fin de la guerre. Yfic et Marie-Louise doivent aussi avoir hâte à la victoire. Tout va bien pour le moment nous avions appris hier que Orel est pris par les Russes et que Palerme en Sicile par les Alliés (nouvelle de la radio). Si les anglo-saxons mettent un peu du leur les Allemands auront chaud cette année, n’importe comment. Je ne crois pas qu’ils passeront un autre hiver en Russie. Nous avons l’espoir d’être bientôt délivrés, à côté de nous il y a un gars de St Eutrope qui est condamné à mort depuis le mois d’avril. Mais il paraît qu’ils ne fusillent plus. Pourvu que ça soit vrai car autrement, si on est jugé, je ne me fais pas d’illusions. Aujourd’hui, c’est l’anniversaire de mes 2 blessures où j’ai échappé à la mort. J’ai confiance d’échapper encore cette fois-ci. Sur une autre lettre, je vous ai demandé de m’expédier mes souliers bas et 100 ou 200 F car on dépense une moyenne de 100 F par mois pour la cantine. On a du café, du vin et de la charcuterie le dimanche. Comment que les crêpes sont appréciées par les copains et par moi-même. C’est à savoir lequel qui reçoit les meilleures choses, sitôt qu’un paquet nous arrive on le met sur la table et c’est moi qui est désigné pour faire les distributions entre nous six à mesure de nos besoins. Depuis le 1er avril, je peu dire que j’ai mangé à ma faim, on a tous repris un peu de graisses. J’aurais bien voulu pouvoir écrire à ses beaux parents à Yfic, vous n’avez qu’à leur souhaiter le bonjour de ma part, ainsi qu’à toute la famille et surtout aux cousins André, Henri, Thérèse et Célestin. Je finis ma lettre en vous embrassant de loin. Votre fils qui ne cesse de penser à vous ainsi qu’à mon frère et belle-sœur.

Albert.

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Fais à la prison de Rennes le 6 juin 1943,

Chers Papa et Maman

J’espère que cette lettre vous parviendra sans tarder. J’ai eu une occasion pour vous écrire sans passer par la censure. Je ne sais pas si vous avez reçu mes lettres (bi mensuelles). Car depuis le 5 mai je n’ai pas eu de vos nouvelles. Les copains n’en reçoivent pas non plus. Je pense qu’elles doivent être jetées au panier. Ma santé est toujours excellente. Je souhaite qu’il en est de même avec vous. Nous attendons toujours le jugement. Certains disent qu’il aura lieu à Paris et d’autres parlent qu’il aura lieu dans peu de temps à Rennes. Enfin, rien ne presse pour ce qu’on a à en tirer, de l’instruction. J’ai demandé à l’inspecteur allemand quelle serait ma peine. Il m’a dit que je pouvais espérer mais que la loi est dure. On cause aussi de nous envoyer dans un camp de travaux en Allemagne. Mais je prends ça pour un calmant qu’on donne à un malade sur le point de calancher. Quand j’ai fait mon boulot, je savais à chaque fois à quoi je m’exposais, et maintenant j’attends stoïque qu’on décide de mon sort. Les premiers camarades arrêtés ont été cravaché sur tout le corps, leurs fesses étaient rendu comme du pâté de foie par la police française au service de l’ennemi (c’est joli ça). Par ça ils ont dû avouer. Ce qui m’a fait arrêter, ainsi que beaucoup d’autres. Mais il y a des mouchards aussi dans la bande. Raoul D. de Landerneau qui doit être en liberté maintenant et René R.* de St Marc le frère à Gabi. De mauvais communistes quoi mais ils payeront tôt ou tard, ainsi que les policiers collaborateurs et vichyssois. Nous sommes ici 45 de Brest avec les 5 femmes, donc certains ont déjà été jugés par les Français, mais qui doivent encore l’être par un tribunal Allemand. La moitié d’entre nous risquons le grand paquet. Le pire, c’est qu’il y a beaucoup de mariés et de pères de famille. Pour moi, si ça m’arrive j’aurai seulement le grand désespoir de vous quitter ainsi que mon frère et sa femme. Mais rien ne m’inquiète à votre sujet, votre santé est bonne et rien ne vous manque par ailleurs. Donc s’il faut se résigner un jour ça sera avec calme et fierté que je marcherai. J’ai fait mon devoir de Français et de communiste. Je suis allé en Espagne parce que là-bas se jouait le sort de la France et que l’Espagne Républicaine vaincue, c’était la guerre pour notre Pays. A présent le capitalisme est en train de creuser sa propre tombe, malheureusement qu’avant de disparaître il peut encore faire beaucoup de mal. Je viens d’apprendre que 3 jeunes classes vont partir pour l’Allemagne sur ordre de Pétain-Laval. Une fois là-bas, ils seront déguisés en mannequins du 3ème Reich et envoyez sur le Front pour combattre leurs camarades Russes contre leur propre liberté. La bête agonise mais elle a du mal à crever. J’aurais bien voulu pouvoir assister à sa fin. Si je n’y suis pas, vous pourrez dire que votre fils a maintes fois risqué sa vie pour le triomphe de son idéal et pour la victoire de notre juste cause. La défense de la République française que nous voulons voir prospérer dans une union des Républiques mondiale. Peut-être que les Alliés arriveront à temps mais ils n’ont pas l’air de se presser, quoi qu’il advienne ils ne perdent pas pour attendre, car les peuples anglo-américains ont aussi compris que leur salut est aux côtés de leurs camarades bocheviques, qu’il faut qu’ils luttent, pour écraser à jamais le fascisme fauteur de guerre et de misère.

« Le capitalisme porte en lui la guerre comme la nuée porte l’orage » (Karl Marx*)

Si Henri ou André plus tard ont l’intention d’apprendre le métier de maçon, Papa peut leur donner quelques-uns de nos outils pour commencer. Le bonjour à Thérèse aussi. J’espère que Baptiste va mieux à présent. S’il venait à manquer, ce serait triste pour mon filleul et sa petite sœur. Je me demande aussi ce qu’a pu devenir (illisible), sa femme et Riri là-bas en Tunisie pendant l’occupation, Célestin va probablement partir pour l’Allemagne. Dites lui de ma part qu’il fasse le mieux possible, car tout ce qu’il fera, c’est (illisible : contre lui?). Dites à Grand-mère et à toute la famille que j’ai bien pensé à eux pendant ma détention.

On a tous un moral extraordinaire ici. Je pense que de votre côté vous êtes bien courageux et le (prouverez?) bientôt car les temps sont durs mais il y aura des jours meilleurs bientôt. Si j’arrive à vous manquer, pas de prières ni surtout de service religieux, cette race là a déjà fait assez de mal à l’humanité. Lui donner un jour de plus, c’est un crime. Dans votre prochain colis, mettez des feuilles et des allumettes. J’aurais bien voulu goûter encore du (Churchill ?). Si vous voulez bien m’envoyer un peu dans un bock marqué (vinaigre) dessus. Sitôt reçu écrivez-moi en mettant (?). Reçu nouvelle du cousin René. Je vous embrasse.

Votre fils Albert Merci bien à vous

* Les noms figuraient dans la lettre mais nous ne voulions pas les reproduire.

** En réalité Jaurès.

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Fais à la Prison de Rennes le 12 juillet 1943

Bien chers Parents

Il m’arrive d’avoir une occasion de vous écrire clandestinement donc je profite pour vous dire que je suis en bonne santé avec un moral épatant (suite illisible). J’ai reçu votre colis avec grand plaisir. Ne mettez pas de pain dedans car nous en avons largement, on en refuse même souvent. On est à 11 ensemble dans la même cellule et nous recevons une douzaine de colis par semaine. Hier matin j’ai reçu mon complet avec des chaussons et du beurre, et je vous ai retourné mon autre paletot et pantalon. Vous voudriez bien m’envoyer mes paires de souliers bas et une paire de chaussettes dans votre prochain paquet. Je n’ai pas eu le temps de réaliser hier matin. Sans ça je me serais dessaisi d’autres choses encore. Je continue à recevoir du tabac par la Croix-Rouge mais je ne sais pas d’où il vient. Je vois Jo Ropars tous les jours. Il est gros et gras signe qu’il se porte bien et que comme moi il ne s’en fait pas. Moi je n’ai jamais été aussi gros (illisible) J’ai presque un double menton comme un curé de campagne. Enfin les Alliés ont débarqué en Sicile. J’espère qu’ils arriveront bientôt à bout des (macaronis) et qu’ils débarqueront sans tarder ailleurs pour nous délivrer. Ma confiance augmente de jour en jour, car on n’est pas encore jugé et je commence à croire qu’on ne le sera jamais. Donc je crois que j’aurai bientôt le bonheur de vous voir, malgré que je ne suis pas trop sûr de moi tant que je serai entre leurs mains. La prison est archi-pleine, il y a des généraux, un (colonel?), un commissaire de police, un comte, un baron. Et aussi 3 ou 4 curés, il y a 8 Morlaisiens à côté pour vol d’huile d’aviation. On a appris aussi qu’il y a 2 trains de permissionnaires qui sont rentrés en collision près de Rennes. Il y aurait un millier de victimes. Je finis ma lettre en vous embrassant de loin, en espérant le faire bientôt de près si la chance me sourit, car la fin de la guerre est proche. Le bonjour à tous.

Votre fils Albert.

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Fais à la Prison de Rennes le 25 juillet 1943

Bien chers Parents

J’espère que vous recevez ces quelques mots que je vous envoie par des voies détournées. J’ai reçu votre colis hier encore, mais des lettres, je n’en ai pas eu depuis longtemps, les copains non plus d’ailleurs. Nous sommes à 11 ensemble et on ne s’ennuie pas, on a également assez à manger grâce aux colis que nous recevons. Inutile de nous envoyer du pain. La semaine dernière, on a eu 2 kilos de pêche. Je suis avec Ernest Mazé et son fils du Forestou en St Marc. Le Roux dont la femme est institutrice à Bolazec. Jean Nedellec. Charles Cadiou et Théo Drogou, ouvriers de l’arsenal. Charles Bénard de la rue Louis Pasteur qui nous amuse avec ses équilibres, des fois on s’instruit avec Albert Abalain du Pont-de-Buis qui a son Bac et René Claireaux de Brest qui n’est pas trop seul, malgré qu’il a raté trois fois son bachot. Avec toute cette équipe, on ne sent pas le temps passer car on a aussi des journaux et des revues, on a fait des jeux de cartes et de dominos. André et Henri seraient jaloux de nous. S’ils nous voyaient avec nos jeux de gosse, je pense que Thérèse et Célestin doivent s’amuser quand même aux pardons. Dimanche, j’ai pensé à celui de Guimiliau. Je pense bien le voir l’année prochaine. Je termine en vous embrassant bien fort avec l’espoir de vous voir un jour prochain.

Albert qui pense à vous.

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Fais à la Prison de Rennes le 28 juillet 1943

Chers Parents,

Je pars avec les copains pour une destination inconnue. Je vous embrasse bien fort.

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Fais à la Prison de Fresnes le 17 Août 1943

Bien chers Parents

Quelques mots pour vous dire que je suis en bonne santé et je pense que vous soyez de même ainsi que Yfic et ma belle-sœur et les parents. Vous pouvez m’envoyer un colis de 5 kilos toutes les quinzaines avec du tabac et un peu de savon. L’adresser à la Croix-Rouge Française – 16 boulevard Raspail pour Albert Rannou 3ème division prison de Fresnes, Seine-et-Oise. Le jugement est commencé depuis ce matin. Il y en a pour un moment. Je finis ma lettre en vous embrassant bien fort. Votre fils Albert qui pense à vous.

P.S. Vous pouvez m’envoyer des journaux aussi. Ecrivez-moi à la prison de Fresnes, section allemande. Seine-et-Oise.

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Fais à la Prison de Fresnes le 23 Août 1943

Bien Chers Parents

Je crois pouvoir vous écrire tous les mois ici. Pour le moment tout va bien et j’espère qu’il en est de même avec vous. Ne vous inquiétez pas pour ma santé car sur quatre que nous sommes dans la cellule il y a un docteur. J’ai eu la visite de tante Célestine jeudi qui m’a causé une grande joie. Elle m’a donné un paquet de tabac, des gâteaux et du raisin. J’ai reçu votre colis le lendemain, on peut en recevoir un par quinzaine. Tachez de m’avoir du tabac si cela est toujours possible. On est pas trop mal nourri donc ne vous privez pas de trop pour moi. J’aurai besoin d’une chemise, une serviette et quelques mouchoirs. Je termine en vous embrassant. Le bonjour à tous.

Votre fils Albert qui ne vous oublie pas.

Fais à la Prison de Fresnes le Mardi 31 août 1943

Biens chers Oncle et tante

Je suis en bonne santé et j’espère que ma lettre vous trouvera de même. J’ai été condamné à mort samedi matin et j’attends le dénouement de l’affaire avec calme. Mon avocat espère que je serai gracié, ce que je crois aussi tout en restant dans le doute. Je saurai le résultat définitif dans une quinzaine. Je pense avoir la visite de Maman cette semaine si au moins elle veut venir à Paris. Je suis dans la même cellule que Jo Ropars à présent ainsi que d’autres Brestois. Donc Tante Célestine , tu voudras bien mettre Papa et Maman au courant de ce qui est et que dans ce moment pénible je pense beaucoup à eux ainsi qu’à mon cher frère et belle-sœur et aussi à grand-mère et toute la famille. En attendant de te revoir je t’embrasse ainsi que tonton Henri et mon jeune cousin espérant que vous aurez bientôt de ses nouvelles.

Votre neveu.

Albert Rannou

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Dernière Lettre d’Albert Rannou avant son exécution le 17 septembre 1943.

Dernière Lettre d’Albert Rannou avant son exécution le 17 septembre 1943.

Fais à la Prison de Fresnes le 17 septembre 1943

Cher Papa et chère Maman

Il est 11 heures moins le quart, on vient de nous prévenir qu’on va être fusillés à 16 heures. Je vais donc donner ma vie à la France, pour ma patrie que j’ai toujours aimée et pour laquelle j’ai combattu. Je meurs content car mon sacrifice (j’en ai la certitude) n’aura pas été vain. J’ai lutté durant ma courte existence pour le bonheur des travailleurs et pour que la paix règne en ce monde.

(censuré)

Mes chers parents, vous savez que je vous ai toujours aimés et que vous me le rendez bien ainsi qu’Yfic. Ça me fait une peine immense de vous quitter à jamais. Je ne sais comment vous exprimer toute ma gratitude pour ce que vous avez fait pour moi. Vous m’avez choyé depuis mon enfance jusqu’à ma dernière heure. Si quelquefois je vous ai fait de la peine, vous m’avez pardonné. Je n’oublie pas non plus ma belle-sœur. Grand-mère et toute la famille auxquels vous voudrez bien envoyer mes amitiés dernières. Je pense à vous tous en ce moment qui est plus pénible pour vous que pour moi. Je viens de voir l’aumônier, j’ai refusé la communion. Donc aucun service religieux à mon intention. Mes amitiés aussi à tous les voisins et camarades, qu’ils sachent que j’ai fait mon devoir de Français et de communiste.

Papa, Maman, ma dernière pensée sera pour vous et pour mon frère. Je vous embrasse tous dans un même élan.

Soyez courageux.

Adieu tous.

Votre fils Albert.

Vive la France, Vive le parti communiste

Paix- Liberté- Justice

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A remettre à Madame Berard. Fresnes le 17 Septembre 1943

Chers oncle et tante

Je pars… d’où l’on ne revient pas. Dans 4 heures, je vous aurai tous quittés. Embrassez tous mes parents pour moi, et votre fils Henri quand vous aurez le bonheur de le trouver.

Recevez les derniers baisers de votre neveu

Albert Rannou

 

1920-2020 – 100 ans d’engagements communistes en Finistère. 2/ Marie Lambert (1913-1981)

Marie Lambert (1913-1981): la première femme députée du Finistère

Née le 26 octobre 1913 à Landerneau (Finistère), morte à Ivry-sur-Seine le 22 janvier 1981 ; secrétaire fédérale communiste du Finistère (1947-1949) ; députée PCF du Finistère (1948-1951).

 » Marie Lambert a été la première femme à représenter le Finistère à l’Assemblée nationale, il a fallu attendre 1962 pour en voir une autre avec l’élection de la gaulliste Suzanne Ploux, et ce n’est qu’en 1978 qu’une 3ème Finistérienne est devenue députée, la socialiste Marie Jacq » (Yvonne Rainero, secrétaire de section du PCF Quimper) 

« Il y a eu un article dans l’Huma sur son activité de journaliste . Elle a été la première à employer le mot guerre pour l’Algériehttps://www.humanite.fr/la-force-communiste-fut-lorigine…  » (Jean-Paul Cam, secrétaire de section du PCF Brest)

 

Congrès du PCF à Strasbourg en 1947 – Daniel Trellu, le premier à gauche: à ces côtés, Gabriel Paul, Pierre Le Rose, Marie Lambert (archives Pierre Le Rose)

Article de Christian Bougeard – pour le MAITRON

Originaire de la petite ville de Landerneau (Finistère), Marie Perrot avait un grand-père qui avait participé, contre son gré, à l’écrasement de la Commune de Paris mais aurait exprimé de la sympathie pour les Communards. Il aimait porter les jours de fêtes un chemise rouge pour manifester ses opinions.
Marie Lambert avait interrompues ses études après le brevet. Elle acquit par la suite, en autodidacte, une importante culture. Elle avait épousé jeune Henri Lambert , avec qui elle eut trois enfants : Jean-Paul en 1932 ( serge nt cassé pour refus d’être appelé en 1956), Henri en 1935 et Annie en 1944. Elle fut brièvement institutrice pendant la « drôle de guerre ».
Son mari fut un résistant FN et FTP. Arrêté en Ille-et-Vilaine en décembre 1943, torturé et déporté. Sous l’Occupation, Marie Lambert participa aux actions de résistance,diffusant tracts et journaux clandestins dans la région de Landerneau. Elle servit d’agent de liaison à Daniel Trellu chef des FTP du Finistère et organisa des groupes de « femmes patriotes », malgré une grossesse. Pour son action, elle obtint la médaille de la Résistance et la Croix de guerre.

Ayant adhéré au PCF en 1943, mettant en rapport ce geste et la lecture avec la lecture de Lyssagaray et de son Histoire de la Commune, « la ménagère » Marie Lambert fut élue conseillère municipale de Landerneau en mai 1945 (réélue en 1947) dans la municipalité dirigée par l’ancien maire révoqué et ancien député (réélu en 1945), le socialiste Jean-Louis Rolland.

Elle appartenait aussi en 1945 au bureau de l’UFF du Finistère.

N’ayant pas été candidate en octobre 1945, Marie Lambert figurait en 4e position sur la liste communiste du Finistère aux élections à la seconde Assemblée Constituante le 2 juin 1946 qui recueillit 95 343 voix en moyenne (24,6%) et deux élus, les députés sortants Pierre Hervé et Gabriel Paul. 

Le 10 novembre 1946, elle était toujours 4e alors que le PCF obtenait 27,8% des voix et trois députés (Alain Signor *en plus). Mais la démission de Pierre Hervé le 15 juin 1948, permit à Marie Lambert de lui succéder à l’Assemblée nationale en juillet. Inscrite à la commission de l’Agriculture, elle déposa plusieurs propositions de loi en faveur des ouvriers agricoles.

Auparavant, Marie Lambert était devenue une des principales dirigeantes du PCF. Elle entra au bureau fédéral élargi de 9 à 13 membres lors de la IXe conférence d’août 1946, devenant ensuite secrétaire fédérale, sans doute en 1947, lors du départ de l’instituteur Alain Cariou. En 1948 et au début 1949, Marie Lambert assura de manière transitoire la fonction de première secrétaire fédérale du Finistère. Elle en fut écartée à la suite de la XIIe conférence fédérale de février 1949 présidée par Jeannette Vermeersch, et remplacée par Daniel Trellu. Elle fut critiquée pour n’avoir pas su diriger sa fédération, en perte de vitesse, et éviter les graves conflits qui divisaient la CGT, peut-être aussi parce qu’il lui était difficile d’assurer ses tâches de direction avec son mandat de députée. Les critiques portaient sur la trop grande importance accordée par la fédération à la question de la laïcité sous l’impulsion de Pierre Hervé. Au total, 24 membres de la direction fédérale sur une quarantaine furent remplacés. Cette véritable « purge » permit un durcissement et une stalinisation de la fédération avec son lot de critiques, d’autocritiques, d’exclusions (même temporaires) et de chasse aux « titistes » et aux « mous ». En 1951-1952, le bureau politique lui-même fut contraint de reprendre les choses en main.

En mars et avril 1950, une série de grèves très dures secoua le Finistère, provoquant une forte mobilisation syndicale et de solidarité. Le 14 avril, une manifestation des femmes de l’UFF à la mairie de Brest se transforma en affrontement avec la police : la députée Marie Lambert (tabassée gravement pendant la manifestation) et deux dirigeants communistes furent arrêtés. Le 17 avril 1950, une manifestation de protestation de 5 000 personnes fut vivement réprimée provoquant la mort de l’ouvrier communiste Edouard Mazé, le frère du conseiller municipal PCF Pierre Mazé. Alain Signor fut lui aussi arrêté et Jacques Duclos interpella le gouvernement sur ces arrestations considérées comme illégales, en violation de l’immunité parlementaire. Plusieurs milliers de personnes participèrent aux obsèques d’Edouard Mazé. Rapidement libérés, Marie Lambert et Alain Signor furent condamnés à cinq et à six moi s de prison avec sursis. Comme en 1935, la violence des affrontements avec les forces de l’ordre allait marquer durablement la mémoire du mouvement ouvrier brestois.

Lors des élections législatives du 17 juin 1951, Marie Lambert , en 3e position sur la liste communiste qui obtint 20,9 % des suffrages ne fut pas réélue, le PCF ne conservant que les sièges d’Alain Signor et de Gabriel Paul. Il semble que l’ancienne députée communiste quitta rapidement le Finistère. De toute façon, en janvier 1953, elle ne figurait plus dans aucun organisme de la direction fédérale. On sait qu’elle devint journaliste à l’Humanité puis à France nouvelle et directrice de Femmes nouvelles, le journal de l’UFF, chargé de la culture, ce qui lui permit de connaître le principaux artistes communiste, notamment le couple Aragon-Triolet.. Le 8 novembre 1954, l’Humanité publia sous le titre « Des tortures dignes de la Gestapo », un reportage de Marie Perrot : « Les arrestations se poursuivent en Algérie et de nombreuses personnes à des sévices innommables dans les locaux de la police la bastonnade, le lavage d’estomac à l’aide d’un tuyau enfonce dans la bouche et le courant électrique ». Ces scènes lui rappelaient les tortures qu’avaient subies son premier mari en 1943. Elle participa en 1955 au premier voyage de journaliste au premier voyage de journalistes à Hanoi. Son statut de journaliste lui permit également de découvrir le Yougoslavie et laTunisie.

Marie Perrot, vécut avec Georges Gosnat à Saint-Ouen à partir de 1950. Elle l’épousa le 30 juillet 1970 (on trouve ailleurs le 30 décembre 1970) et habita avec lui à Ivry-sur-Seine. Georges Gosnat était député d’Ivry-sur-Seine et un des principaux responsables des finances du PCF. Elle décéda en 1981 dans ce bastion du communisme de la banlieue sud-est et fut enterrée au cimetière communal.

SOURCES : Arch. du comité national du PCF. Organigrammes des comités fédéraux du Finistère (1953-1968). — Arch. PPo., dossier Georges Gosnat. — Eugène Kerbaul, 1918-1945 : 1640 militants du Finistère, Bagnolet, 1988, notice Henri Lambert et Marie Perrot, p. 140 et 232-233. — Isabelle Picart, Le PCF à Brest de la Libération à la fin de la Quatrième République (1944-1958), maîtrise d’histoire, Université de Bretagne occidentale, Brest, 1989. — Le bande dessinée de Kris et Étinne Davodeau, Un homme est mort, Futuropolis, 2006. — Cédérom le Maitron. Notice Georges Gosnat par Jean Maitron et Claude Pennetier.
***

Dans une lettre datée du 16 octobre 1985, Pierre Le Rose donne à Pierre Crépel, un camarade de l’IRM (Institut de Recherche Marxiste) basé à Lanester, des renseignements complémentaires sur le Parti Communiste à la Libération, période qu’il a connue en tant que dirigeant et acteur. On trouve dans cette lettre des informations tout à fait importantes d’un point de vue historique qui justifient qu’on la publie, avec l’accord de la fille de Pierre Le Rose:

« L’audience du Parti était très grande dans le Finistère à la Libération. On évaluait les adhérents à 10 000 ou 12 000. Les cartes étaient placées aux réunions publiques au lendemain de la libération. L’organisation ne suivait pas. Mais dans les localités importantes (Brest, Morlaix, Quimper, Douarnenez, Concarneau), les cellules avaient des Bureaux et des activités réelles. Le premier pointage réel que j’ai pu faire en Avril 47 (je venais d’avoir la responsabilité de l’organisation fédérale) faisait apparaître plus de 7000 adhérents. Nous avons vu jusqu’à 12 000 personnes à nos fêtes fédérales (fête de la Bretagne, notre journal, avec Marcel Cachin; 40 000 personnes à Brest sur le cours d’Ajot avec Maurice Thorez le 6 juillet 1947). Parallèlement, les JC (44-45) puis l’UJRF (à partir d’avril 45) comptaient entre 9 et 10 000 adhérents (jeunes venus des FTP, jeunes filles très nombreuses). Les jeunes prenaient leurs responsabilités pour organiser les activités ( 400 Jeunes Communistes à Quimper, 200 à Concarneau, mêmes chiffre à Douarnenez; organisations existant dans les localités rurales du Centre Finistère, Riec sur Belon, etc…). Les meetings des JC rassemblaient autant et parfois plus d’auditeurs que le Parti. Ce sont les JC (garçons et filles) qui ont vite fourni les cadres du Parti (peut-être au détriment de l’organisation des jeunes).

L’audience du Parti est venue du combat clandestin, puis de l’activité des militants, des élus et des ministres communistes, activité qui continuait le combat national, le confirmait.

Dans des élections législatives à la proportionnelle, le Parti Communiste recueillait 70 000 voix en novembre 1945 (2 députés), 80 000 voix en mars 1946 (2 députés), 105 800 voix en novembre 1946 (3 députés sur 10 députés finistériens).

La part de la jeunesse et des femmes fut considérable dans cette période. Nous avions la première femme maire (Kernevel), des adjointes. Notre Parti faisait le plus confiance aux jeunes (Gabriel Paul, député et secrétaire fédéral à 26 ans), Marie Lambert, députée et secrétaire fédérale à 33 ans (idem dans les Côtes d’Armor avec Hélène Le Jeune). On retrouve des jeunes de nos fédérations bretonnes également à Ouest-Matin (sur Rennes comme correspondants).

La direction du PCF milite pour la reconnaissance politique des femmes: « Les femmes viennent de plus en plus à la vie politique. Il faut les organiser et laisser de côté les préjugés encore tenaces sur l’infériorité de la femme qui ne sont pas dignes de communistes ».  

La fédération vient de transférer son siège à Brest. Elle connaît déjà quelques difficultés financières qui l’ont contraint à réduire son nombre de permanents.  

* Note biographique de Jean-Claude Cariou sur Marie Lambert et Pierre Hervé

Marie Lambert remplaça ensuite à l’Assemblée Nationale Pierre Hervé (du secteur de Morlaix-Lanmeur), lequel quitta plus tard le PCF pour rejoindre la SFIO puis un groupuscule gaulliste. Il redevint professeur de philosophie, son métier initial en région parisienne. Sa femme, résistante, avait servi de modèle à Jacques Prévert, dont il était l’ami, pour son célèbre poème « Barbara ». Marie Lambert divorça ensuite de l’officier d’infanterie dont elle était l’épouse et quitta la Bretagne avec son nouveau mari, Georges Gosnat, trésorier national du PCF et membre du Bureau politique. 

1920-2020 – 100 ans d’engagements communistes en Finistère. 1/ Daniel Trellu (1919-1998)

1920-2020 – 100 ans d’engagements communistes en Finistère.

1- Daniel Trellu (Quéméneven 1919- Carhaix 1998)

Le témoignage d’Alain David sur Daniel Trellu:

 » Un homme exceptionnel. Libre, lucide et fidèle dans ses engagements. J’ai le souvenir impérissable d’un camp de voile à Lesconil où, un soir de navigation sur le Steir, des jeunes Français et Algériens ont chanté ensemble le chant des partisans… et cela en pleine guerre d’Algérie. Bien plus tard que cette première rencontre, qui a marqué l’adolescent que j’étais, j’ai à nouveau rencontré Daniel dans sa maison d’écluse au bord du cana . Je garde un souvenir fort et ému de la richesse de nos échanges ( pour être honnête de tout ce que Daniel y apportait). Nous y avons préparé une rencontre avec un groupe de jeunes communistes allemandes qui randonnaient en Bretagne à moto et qui voulaient évoquer avec lui la résistance dans notre région. La rencontre eut lieu au village de Trédudon sur la commune de Berrien. Au-delà de la narration de cette période cruciale dans la vie du jeune instituteur devenu chef de la résistance, les auditrices furent impressionnées par la culture, la profondeur humaine de Daniel. La qualité et la profondeur des liens qui subsistaient aussi avec la population de ce village de l’Arrée, ceux qui avaient connu Daniel à cette époque comme leurs descendants. Bien entendu, cela ne se termina pas sans une copieuse dégustation des produits locaux. C’est l’héritage que nous ont laissé au péril de leur liberté et de leur vie des gens de cette qualité (alors que les « élites  » se vautraient pour nombre d’entre elles dans la collaboration) que l’on voudrait aujourd’hui galvauder au sommet de l’état » .

Congrès du PCF à Strasbourg en 1947 – Daniel Trellu, le premier à gauche: à ces côtés, Gabriel Paul, Pierre Le Rose, Marie Lambert (archives Pierre Le Rose)

Né en 1919 à Quéménéven (29), Daniel Trellu, qui devient instituteur avant guerre, a joué sous le pseudonyme de «Colonel Chevalier», un rôle important dans la Résistance en tant que responsable départemental d’un des premiers maquis de Bretagne (Spézet, Laz, Saint-Goazec), puis de responsable de la résistance FTP de Bretagne.

Il était entré aux Jeunesses Communistes dès 1936, à l’époque de la montée des fascismes, puis il participa à la reconstitution du Parti Communiste clandestin en 1939.

Paul Le Gall, Piero Rainero, Daniel Trellu (ancien chef FTP du Finistère), Pierre Le Rose, Gaston Plissonnier (archives Pierre Le Rose)

« D’aucuns se souviennent de quelques faits d’arme de ce résistant intrépide: rapt d’uniformes d’officiers nazis dans un hôtel au bord de l’Aulne, déchargement d’armes au « Cap-Horn » (Quimper) » (témoignage d’André Buanic cité par Francis Favereau).
Après la guerre, il devient responsable départemental du parti communiste à Brest, puis réintègre l’enseignement en 1952.
Il sera successivement instituteur à Trégunc, puis professeur de français et d’histoire-géographie au lycée technique Chaptal à Quimper. Très lié à Dubcek (depuis 1949 – stages, rencontres), il fut très affecté par les évènements de 1968 en Tchécoslovaquie.

Il aura d’ailleurs comme élève un certain Daniel Le Braz (Dan ar Braz). Il prend sa retraite en 1975 et vient s’installer à Saint-Hernin où il décédera en avril 1998.

Daniel Trellu était un homme cultivé, lettré, l’auteur de nombreux poèmes:

Voici un poème remarquable de Daniel Trellu trouvé dans le tome 3 en français de l’anthologie de Favereau chez Skol Vreizh, sachant que l »original se trouve dans la version bretonne de l’anthologie.

Le poème en breton est peut-être encore supérieur à sa traduction, fût-elle de l’auteur lui-même comme c’est le cas ici. On considére le style poétique de Trellu assez proche de certains aspects de Char.

 

Ce poème nous a été transmis par Michel Kerninon et Kristian Keginer.

OMBRE

J’ai perdu mon ombre

Ma preuve par le soleil

A midi comme un mât

Planté en pleine terre

Voiles hautes

J’étais une évidence verticale

Confondue avec son double

Pouvais-je retenir les soleils

Quand je croyais ouvrir deux mains

J’ai creusé pour chercher mon ombre

J’ai navigué sur des faux équilibres

Mon tronc s’est vidé

L’écorce est transparente

Faux soleils fausses lueurs

Je tourne autour du vide

Je n’ai plus d’ombre

J’ai perdu le soleil.

 

Notre jeunesse, Avril 1945: congrès des Jeunesses Communistes (Archives Pierre Le Rose)

Maryse Le Roux nous raconte Daniel Trellu (Quémeneven 1919-1998 Carhaix) , ancien responsable de la Résistance Communiste bretonne et cadre du PCF à la Libération, qu’elle a rencontré à la fin des années 90:

 » Sa maison d’écluse au bord du canal de Nantes à Brest avait beaucoup de charme. Il avait fait à côté sous une terrasse un espace barbecue, et il en parlait comme de l’espace de l’amitié, qui semblait avoir pour lui une grande importance.
Il avait dans sa retraite un rôle proche de celui d’un assistant social bénévole, et débrouillait des dossiers pour des gens qui n’y arrivaient pas. (…) Dans l’entrée de sa maison, il y avait deux images côte à côte et de la même taille : une de Marx, je crois, une autre du Christ.
Il avait avec toi pas mal de points communs : c’était un communiste convaincu, et il était ouvert, tolérant, et lisait des textes sacrés. Parler avec lui ne donnait pas l’impression de parler à un homme enfermé dans un système de pensée. Il était humaniste, chaleureux. Il avait du recul sur ses choix. Il parlait de Marcel Cachin comme de quelqu’un qui avait compté pour lui, en tant que communiste, et en tant que défenseur de la langue et de la culture bretonnes.
La langue bretonne avait beaucoup de valeur à ses yeux, il écrivait des poème en breton, et les traduisait.
Voilà, c’est tout ce qui me revient… Ce n’est pas grand-chose, mais ce qui dominait quand je l’ai quitté, c’était le sentiment d’avoir rencontré quelqu’un d’une belle humanité, et un esprit libre. »

 » Concernant les « campagnes rouges » du Centre-Bretagne, Daniel Trellu avait répondu en breton aux questions de Ronan Le Coadic (Skol Vreizh, n°22, 1991):

« Dans ces régions, les ruraux étaient traités comme des bêtes sous le règne des riches et, peu à peu, ils sont parvenus à posséder leur lopin de terre, un champ ou deux ou trois; par la suite, ils ont mis un peu d’argent de côté, mais n’ont pas oublié d’où ils venaient… Certains sont partis travailler loin, à Paris. Des gens costauds pour des travaux pénibles. C’est ainsi que ceux-ci se sont trouvés à la tête des syndicats, et ainsi de suite; puis ils ont connu les communistes et ont adhéré (au PCF). Et c’est ainsi qu’ils ont ramené au pays ce qu’ils avaient appris à Paris… Marcel Cachin disait un jour: « Tiens, ceux-là, maintenant, ils ont vu les saints vivants et les ont vus mourir pour des idées ». Cela a été un peu un transfert de foi… Les Bretons, tu le sais bien, aiment à voir des saints; or, cet homme-là, c’était comme un saint dans le pays. Il s’occupait des pauvres. Et ils n’avaient pas d’argent, on ne leur en demandait pas. Il était toujours prêt, de jour comme de nuit, à rendre service, quoique ce soit… allez hop! on va trouver le docteur Jacq, le médecin des pauvres* ». (entretien avec Ronan Le Coadic cité par Francis Favereau, Anthologie de la littérature bretonne au XXe siècle, tome 3, Skol Vreizh, p. 463)