Venons-en au sujet : les conséquences d’une sortie du Royaume-Uni sur la région de Roscoff et ses habitants. Si cette sortie était confirmée elle pourrait être redoutable pour la région Bretagne.• La France est la première destination commerciale du trafic maritime irlandais avec près de 40 % des échanges.
• 4,4 millions de camions ont traversé la Manche en 2017. Un million transitent entre l’Irlande et l’Angleterre dont une bonne partie continue ensuite vers le continent.
Dès lors que le Royaume-Uni ne sera plus dans l’Union européenne, il faudra adapter les infrastructures des ports pour les contrôles et taxes des camions venant du Royaume-Uni et en établir de nouvelles pour la diversion du trafic Irlande-Royaume-Uni-Continent vers des axes Irlande-Continent.
Pour les contrôles, de nouveaux bureaux des douanes, des équipements pour les services vétérinaires et phytosanitaires sont nécessaires. Des bornes pour la récupération de la TVA et formalités fiscales doivent être installées. De nouveaux parkings sont nécessaires pour gérer les files d’attentes dues aux nouvelles formalités. 700 douaniers supplémentaires doivent être déployés dans les ports français.
Pour le port Boulogne-Calais, on a prévu 6 millions d’euros de travaux d’adaptation des infrastructures, 3,5 millions d’investissements d’urgence pour Dunkerque. Ces travaux le sont pour parer à l’urgence. Dans un second temps c’est l’appropriation des flux Irlande-Continent qui est en jeu. Le port de Roscoff pourra-t-il continuer à être un lieu de transit des marchandises dès lors qu’il n’a pas de service de douanes pour les denrées agro-alimentaires de pays « hors Union européenne » ?
L’impact peut être lourd dans la région de Roscoff notamment pour les débouchés vers les ports de Pormouth de la zone légumière de Saint-Pol-de-Léon. A ceci peuvent s’ajouter les modifications monétaires pouvant être défavorables à la France.
♦ Les Routes maritimes : Zeebrugge-Anvers-Rotterdam contre les ports français ?
Afin d’assurer la connexion Lalande-Continent, la Commission est allée au plus simple. Elle a proposé le 1er aout 2018 d’amender les cadres des réseaux transeuropéens RTE-T maritimes (« autoroutes de la mer ») pour y introduire de nouvelles liaisons Irlande-Continent. Le problème c’est que ce sont des connexions entre les ports de Dublin et Cork en Irlande et de Zeebruges, Anvers et Rotterdam qui sont proposées. Les ports français sont délaissés au profit des grands ports de mer du Nord, plus à même d’absorber le transfert de flux de marchandises.
L’inscription dans le corridor RTE-T de la mer du Nord permet l’accès à des subventions européennes pour moderniser les infrastructures. Les budgets pour le Mécanisme pour l’interconnexion en Europe sont de 24 milliards d’euros pour la période 2014 et 2020, et autour de 30 milliards pour 2021-2027 (toujours en discussion).
Au Parlement européen, un rapport de mon amie Karima Delli (EELV) a été adopté en commission transport le 10 janvier 2019. Il modifie la proposition de la Commission en incluant les ports de Calais, du Havre et de Dunkerque au corridor mer du Nord-Méditerranée et les ports de Brest, Roscoff, Saint-Nazaire, Saint-Malo, Cherbourg, Caen, Le Havre, Rouen, Nantes, Paris et Boulogne au corridor atlantique.
Avec ce rapport, qui doit encore être voté bientôt en plénière, et la pression de la France au Conseil, le tir devrait être corrigé concernant les subventions européennes. Mais il reste encore à voir qui dans les faits va bénéficier du transfert de trafic.
Les ports français ont des atouts. Ce sont les plus proches géographiquement, leur nombre donne un plus grand choix de lieu de débarquement et de destination du transport et ils sont soutenus par l’association des ports irlandais.
Potentiel : une infrastructure portuaire dynamique donne un signal positif aux investisseurs, des espaces de stockage, des potentiels de rayonnement logistique peuvent servir de base pour des industries tournées vers l’intérieur des terres comme l’extérieur.
Tout doit donc encore être décidé dans les négociations sur la future relation. En attendant, c’est l’accord de transition (s’il est ratifié avant le 29 mars) qui s’applique : maintien de l’accès aux eaux britanniques, puis conclusion d’un accord de pêche avant le 1er juillet 2020.
Le poisson britannique pourra être exporté dans l’UE mais avec droits de douanes OMC loin d’être dissuasifs et obligation de certificats européens sur bonnes pratiques dans la lutte contre la pêche illégale.
Avec un Brexit dit « soft » (avec accord de transition) mais sans accord sur la pêche, le Royaume-Uni reprend le contrôle de l’exclusivité de ses eaux mais garde l’accès au marché unique via ce que l’on appelle le « backstop » qui maintien le Royaume-Uni dans une union douanière (pour éviter une frontière dure en Irlande). Le Brexit soft est finalement presque pire pour les pêcheurs français car il retire l’accès facilité au marché européen comme levier de négociation.
Dans le cadre d’un futur grand accord UE-Royaume-Uni l’accès aux eaux britanniques sera surement assuré. Mais les Britanniques vendront cher cette carte majeure et rare. Les pêcheurs britanniques seront soumis à leurs propres règlementations et il y a fort à parier que ces dernières seront beaucoup moins astreignantes en termes de conditions environnementales, TAC, surveillance, rejets et obligation de débarquement des captures non souhaitées.
Il en résultera donc – et c’est le scénario du mieux – une concurrence déloyale entre pêcheurs.
Dans l’immédiat un système d’échange de quotas de totaux admissibles de captures (TAC) est créé pour l’année 2019. Les pêcheurs de l’Atlantique, de la Manche et de la mer du Nord auront leurs quotas regroupés dans un pot commun pour les échanger si besoin. La crainte était qu’avec « la fin des rejets » (de poissons pêchés mais non désirés) en 2019, des pêcheurs venant pêcher certaines espèces dans certaines zones soient empêchés de travailler car ne disposant pas de quotas pour une autre espèce qui risquerait de se retrouver dans leurs filets.
Le 23 janvier, la Commission a proposé deux outils de plus (adoptés par le Conseil le 20 février) :
• une modification du règlement « flottes externes » pour donner au Royaume-Uni l’accès aux eaux européennes et réciproquement jusqu’à fin 2019 (au-delà on est dans le règlement politique).
• le déblocage de compensation au titre du Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche (FEAMP), sous la forme d’aides au cas d’arrêt d’activité. Nous ne sommes sûrs de rien sur le moyen et long termes. Les fonds du FEAMP doivent être réduits de 6% à 6,14 milliards d’euros dans le prochaine cadre pluriannuel 2021-2027. De plus, l’argent serait plus utile et efficace s’il servait à développer des activités et non à détruire des bateaux.