Patrick Le Hyaric, son compte rendu du café-débat à Roscoff

Café-débat à Roscoff sur le Brexit
Mes amis de la fédération du Finistère du Parti communiste ont organisé samedi dernier une rencontre-débat sur les enjeux de la sortie du Royaume-Uni pour la région de Roscoff.
Avant cette réunion, je retrouvais les militants CGT et communistes et le collectif de défense de la ligne SNCF Roscoff-Morlaix. Beaucoup de monde dans ce rassemblement avec le maire ainsi que des élus locaux et le sénateur socialiste. Autant les actions de ce type sont indispensables, autant clarté doit être faite sur les responsabilités des uns et des autres. Il est facile de pleurer localement contre des orientations législatives qu’on a soi-même votées au Parlement européen et à l’Assemblée nationale.

 

L’après-midi, dans un restaurant face à la mer, le débat a été passionnant avec Ismaël Dupont, secrétaire départemental communiste, ainsi que Glenn Le Saout et Cindérella Bernard, conseillère départementale des Côtes d’Armor, tous deux candidats sur la liste de rassemblement populaire que conduit Ian Brossat pour les élections européennes. J’y ai retrouvé des militants, et d’autres, studieux et combatifs, très au fait des enjeux. J’ai donné en introduction quelques éléments de repères que je résume ici.
♦ Repères
D’abord, un débat existe aujourd’hui au Royaume-Uni sur les suites à donner au vote des populations sur la sortie de l’Union européenne. La proposition européenne vise à préserver le maximum des intérêts communs notamment ceux mis en avant par nos camarades du Sinn Féin pour l’Irlande du Nord.

Venons-en au sujet : les conséquences d’une sortie du Royaume-Uni sur la région de Roscoff et ses habitants. Si cette sortie était confirmée elle pourrait être redoutable pour la région Bretagne.• La France est la première destination commerciale du trafic maritime irlandais avec près de 40 % des échanges.

• Les poids lourds d’Irlande traversent généralement la mer pour rallier Liverpool et atteindre le continent via le détroit de Calais-Douvres, par tunnel ou ferry.
4,4 millions de camions ont traversé la Manche en 2017. Un million transitent entre l’Irlande et l’Angleterre dont une bonne partie continue ensuite vers le continent.

Dès lors que le Royaume-Uni ne sera plus dans l’Union européenne, il faudra adapter les infrastructures des ports pour les contrôles et taxes des camions venant du Royaume-Uni et en établir de nouvelles pour la diversion du trafic Irlande-Royaume-Uni-Continent vers des axes Irlande-Continent.

Pour les contrôles, de nouveaux bureaux des douanes, des équipements pour les services vétérinaires et phytosanitaires sont nécessaires. Des bornes pour la récupération de la TVA et formalités fiscales doivent être installées. De nouveaux parkings sont nécessaires pour gérer les files d’attentes dues aux nouvelles formalités. 700 douaniers supplémentaires doivent être déployés dans les ports français.

Pour le port Boulogne-Calais, on a prévu 6 millions d’euros de travaux d’adaptation des infrastructures, 3,5 millions d’investissements d’urgence pour Dunkerque. Ces travaux le sont pour parer à l’urgence. Dans un second temps c’est l’appropriation des flux Irlande-Continent qui est en jeu. Le port de Roscoff pourra-t-il continuer à être un lieu de transit des marchandises dès lors qu’il n’a pas de service de douanes pour les denrées agro-alimentaires de pays « hors Union européenne » ?

L’impact peut être lourd dans la région de Roscoff notamment pour les débouchés vers les ports de Pormouth de la zone légumière de Saint-Pol-de-Léon. A ceci peuvent s’ajouter les modifications monétaires pouvant être défavorables à la France.

♦ Les Routes maritimes : Zeebrugge-Anvers-Rotterdam contre les ports français ?

Afin d’assurer la connexion Lalande-Continent, la Commission est allée au plus simple. Elle a proposé le 1er aout 2018 d’amender les cadres des réseaux transeuropéens RTE-T maritimes (« autoroutes de la mer ») pour y introduire de nouvelles liaisons Irlande-Continent. Le problème c’est que ce sont des connexions entre les ports de Dublin et Cork en Irlande et de Zeebruges, Anvers et Rotterdam qui sont proposées. Les ports français sont délaissés au profit des grands ports de mer du Nord, plus à même d’absorber le transfert de flux de marchandises.

L’inscription dans le corridor RTE-T de la mer du Nord permet l’accès à des subventions européennes pour moderniser les infrastructures. Les budgets pour le Mécanisme pour l’interconnexion en Europe sont de 24 milliards d’euros pour la période 2014 et 2020, et autour de 30 milliards pour 2021-2027 (toujours en discussion).

Au Parlement européen, un rapport de mon amie Karima Delli (EELV) a été adopté en commission transport le 10 janvier 2019. Il modifie la proposition de la Commission en incluant les ports de Calais, du Havre et de Dunkerque au corridor mer du Nord-Méditerranée et les ports de Brest, Roscoff, Saint-Nazaire, Saint-Malo, Cherbourg, Caen, Le Havre, Rouen, Nantes, Paris et Boulogne au corridor atlantique.

Avec ce rapport, qui doit encore être voté bientôt en plénière, et la pression de la France au Conseil, le tir devrait être corrigé concernant les subventions européennes. Mais il reste encore à voir qui dans les faits va bénéficier du transfert de trafic.

Les ports français ont des atouts. Ce sont les plus proches géographiquement, leur nombre donne un plus grand choix de lieu de débarquement et de destination du transport et ils sont soutenus par l’association des ports irlandais.
Potentiel : une infrastructure portuaire dynamique donne un signal positif aux investisseurs, des espaces de stockage, des potentiels de rayonnement logistique peuvent servir de base pour des industries tournées vers l’intérieur des terres comme l’extérieur.

♦ La pêche
La Politique de Pêche Commune PCP, met en commun la ressource halieutique et l’encadre avec des quotas nationaux (totaux admissibles de capture TAC) par zone de pêche et espèces. Concrètement, on ouvre l’accès à la ressource à tous, tout en limitant son utilisation.
Or les eaux britanniques et celles de leur zone économique exclusive ZEE (200miles nautiques depuis les côtes -370km) sont très poissonneuses : 40% des prises européennes sont faites dans les eaux britanniques. La dépendance est très forte pour les Néerlandais, Belges et Suédois, mais aussi certaines régions françaises : 30% des captures françaises y sont effectuées, dont 50 % pour les pêcheurs bretons et 75 % pour les Hauts-de-France, selon le Comité national des pêches maritimes et des élevages marins (CNPMEM). La dépendance est quasiment totale sur certaines espèces-filiales comme le lieu noir ou le hareng, pêchés essentiellement dans la ZEE britannique.
La dépendance n’est pas réciproque : de 2011 à 2015, 760 000 tonnes de poisson ont été prélevés par les pêcheurs européens dans les eaux britanniques contre 90 000 par les britanniques hors de leurs eaux. Les pêcheurs britanniques ont donc largement à gagner de l’exclusivité, raison pour laquelle ils ont massivement soutenus le Brexit (à 92%). Seule contrepartie : 75% des poissons pêchés par les Britanniques sont écoulés de l’autre côté de la Manche et circulent librement grâce au marché unique.
Tout doit donc encore être décidé dans les négociations sur la future relation. En attendant, c’est l’accord de transition (s’il est ratifié avant le 29 mars) qui s’applique : maintien de l’accès aux eaux britanniques, puis conclusion d’un accord de pêche avant le 1er juillet 2020.
Avec un Brexit dur (sans accord de transition), le Royaume-Uni reprend dès la fin 2019 le contrôle de l’exclusivité de ses eaux (le gouvernement actuel s’est engagé à respecter les TAC de 2019). Ce qu’il a signalé par sa volonté de sortir de la Convention de Londres de 1964 qui ouvrait les eaux entre 6 et 12 miles (11 et 22km) de la France, la Belgique l’Allemagne, le Royaume-Uni, la Belgique et les Pays-Bas. Pour l’European Fisheries Alliance (le lobby de la pêche européenne), cela pourrait entrainer la disparition de 6000 postes sur 18 000 dans les flottes européennes, sans compter l’impact colossal sur toute l’industrie des produits de la mer derrière.

Le poisson britannique pourra être exporté dans l’UE mais avec droits de douanes OMC loin d’être dissuasifs et obligation de certificats européens sur bonnes pratiques dans la lutte contre la pêche illégale.

Avec un Brexit dit « soft » (avec accord de transition) mais sans accord sur la pêche, le Royaume-Uni reprend le contrôle de l’exclusivité de ses eaux mais garde l’accès au marché unique via ce que l’on appelle le « backstop » qui maintien le Royaume-Uni dans une union douanière (pour éviter une frontière dure en Irlande). Le Brexit soft est finalement presque pire pour les pêcheurs français car il retire l’accès facilité au marché européen comme levier de négociation.

Dans le cadre d’un futur grand accord UE-Royaume-Uni l’accès aux eaux britanniques sera surement assuré. Mais les Britanniques vendront cher cette carte majeure et rare. Les pêcheurs britanniques seront soumis à leurs propres règlementations et il y a fort à parier que ces dernières seront beaucoup moins astreignantes en termes de conditions environnementales, TAC, surveillance, rejets et obligation de débarquement des captures non souhaitées.
Il en résultera donc – et c’est le scénario du mieux – une concurrence déloyale entre pêcheurs.

Dans l’immédiat un système d’échange de quotas de totaux admissibles de captures (TAC) est créé pour l’année 2019. Les pêcheurs de l’Atlantique, de la Manche et de la mer du Nord auront leurs quotas regroupés dans un pot commun pour les échanger si besoin. La crainte était qu’avec « la fin des rejets » (de poissons pêchés mais non désirés) en 2019, des pêcheurs venant pêcher certaines espèces dans certaines zones soient empêchés de travailler car ne disposant pas de quotas pour une autre espèce qui risquerait de se retrouver dans leurs filets.

Le 23 janvier, la Commission a proposé deux outils de plus (adoptés par le Conseil le 20 février) :
une modification du règlement « flottes externes » pour donner au Royaume-Uni l’accès aux eaux européennes et réciproquement jusqu’à fin 2019 (au-delà on est dans le règlement politique).
le déblocage de compensation au titre du Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche (FEAMP), sous la forme d’aides au cas d’arrêt d’activité. Nous ne sommes sûrs de rien sur le moyen et long termes. Les fonds du FEAMP doivent être réduits de 6% à 6,14 milliards d’euros dans le prochaine cadre pluriannuel 2021-2027. De plus, l’argent serait plus utile et efficace s’il servait à développer des activités et non à détruire des bateaux.

L’enjeu pour la région est donc considérable. Il est nécessaire de se solidariser car l’activité économique et l’emploi peuvent être durement touchés. Il convient donc de se faire entendre, de mobiliser les collectivités territoriales en direction de l’État. Une mission pêche a été décidée à l’Assemblée nationale. Mon ami Sébastien Jumel en sera le président. Il convient de lui donner des éléments car la pêche bretonne peut se trouver dans de nouvelles difficultés. Une démarche est aussi nécessaire en direction de Matignon sur l’équilibre dans la vie des ports de la façade atlantique.
Un tel sujet mériterait d’ailleurs une conférence régionale sur l’économie régionale dans le nouveau contexte, la valorisation des atouts bretons, l’emploi et la formation. Le Royaume-Uni est en effet le troisième investisseur étranger en Bretagne et le troisième débouché d’exportation des sociétés bretonnes (600 entreprises sont concernées).

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