Patrick Le Hyaric, directeur de L’Humanité et n° 3 de la liste PCF aux prochaines élections européennes, était de passage ce samedi au port de Bloscon, à Roscoff. Devant près de 80 personnes, il a parlé Brexit, évidemment, mais pas seulement. Selon lui, il faut « révolutionner la construction européenne ».
Cindérella Bernard, Patrick Le Hyaric, Glenn Le Saoût, candidats du PCF aux élections européennes, à Roscoff le 2 mars 2019 pour un débat sur le Brexit et ses conséquences, l’enjeu des élections Européennes au bar restaurant C’est Ici, devant 80 personnes (photo Gwendal Hameury, Le Télégramme)
Vous êtes venu ce samedi au port de Bloscon, à Roscoff, pour parler Brexit. Quelles seront, selon vous, ses conséquences sur les ports bretons ?« Elles seront multiples. Dès lors que l’on va remettre des frontières, on va avoir des questions liées aux douanes, aux infrastructures, à la logistique. Notamment ici, à Roscoff. Il existe derrière ça d’assez lourds enjeux car une chose est le contrôle, une autre est la collecte de la TVA par les douaniers par exemple. À l’intérieur de tout ceci, il y a un débat intra-européen sur les priorités qui vont être données. Si les institutions européennes décident de privilégier les ports du nord de l’Europe, ce sera au détriment de ceux des côtes Manche et Atlantique. Mais à l’intérieur de ce débat, il y en a encore un autre puisque, vraisemblablement, à Matignon, aujourd’hui, on privilégie un axe Le Havre-Paris contre Roscoff, Brest ou Lorient. Tout cela risque de déstabiliser beaucoup de choses en Bretagne. À tout ceci s’ajoutent évidemment les enjeux de la pêche. Jusque-là, les zones de pêche communes profitaient davantage aux pêcheurs des autres pays européens qu’aux pêcheurs britanniques. Or, aujourd’hui, dans la négociation, l’affaire de la pêche devient une sorte de levier qu’utilisent les Britanniques. En retrouvant leurs zones de pêche, ils vont nous en enlever ; ça leur élargit l’espace. D’ailleurs, les pêcheurs britanniques étaient plutôt pour le Brexit… Il y a donc beaucoup d’enjeux qui sont posés pour la région. Car derrière les ports, il y a aussi les exploitations agricoles qui en dépendent ; certaines usines agroalimentaires qui transforment du poisson sont également concernées. Quant à la gare de Roscoff, l’argumentaire pour défendre la ligne Roscoff-Morlaix-Paris est plus solide si on est capable de défendre nos intérêts que s’il y a une sorte d’organisation pour affaiblir le port de Roscoff ».
Croyez-vous à un nouveau référendum sur le Brexit au Royaume-Uni ?« Au point où nous en sommes… Pour ce qui concerne Roscoff et les alentours, qu’il y ait un accord ou pas, ce ne sera pas très positif. On peut craindre que même dans le cas d’un accord transitoire, ce soit négatif. Encore plus négatif qu’une sortie dure. S’il y a de nouveau une consultation, un référendum qui est décidé, je crois que c’est une voie qui peut devenir raisonnable. Je ne suis pas, par principe, pour revenir sur des choses qui ont été décidées par le peuple… Mais compte tenu des points de blocage, des divisions qu’il y a au Royaume-Uni, chez les Conservateurs et un peu aussi chez les Travaillistes désormais, je crois que la voie la plus sage serait de consulter à nouveau les populations du Royaume-Uni ».
Le Brexit, la montée des populismes… N’est-il pas temps de repenser le modèle européen ?« Il y a une incapacité dans l’Union européenne à prendre des décisions en commun. On l’a vu dans le dossier Alstom Siemens : pas d’accord de coopération. Et on vient de le voir encore sur le dossier Air France KLM. La montée des populismes est la résultante du fait que l’Union européenne ne répond pas du tout aux besoins des peuples, crée des fractures. Je pense qu’il ne faut pas repenser mais révolutionner la construction européenne. C’est-à-dire repartir sur de nouvelles bases, dépasser ce qui existe aujourd’hui et reconstruire à partir des demandes des populations, des salariés ».
Quelles sont les propositions de la liste PCF aux Européennes pour y parvenir ?« On ne peut pas faire une union européenne tant, par exemple, qu’on maintient des différentiels de salaires aussi importants. On ne peut pas avoir un SMIC à 1 800 € au Luxembourg, 1 200 € chez nous, à peine 700 € chez les Portugais et 150 € chez les Roumains. Le grand effort qu’il faudrait produire, c’est monter très rapidement ceux qui sont le plus bas pour qu’ils commencent à nous rejoindre. De telle sorte qu’il y ait une égalité de traitement. C’est pareil en matière de protection sociale, d’assurance chômage, de recettes. La question sociale, c’est-à-dire faire une Europe du travail, devient une question principale. Autre point : la négociation sur la politique agricole commune. C’est assez catastrophique ce qui est proposé. Non seulement on va laisser les prix tomber mais on ne va pas compenser. Tout ça est à revoir fondamentalement. On a aussi une banque européenne qui fait un peu ce qu’elle veut. Elle produit beaucoup de monnaie qu’elle prête ou donne aux banques. Mais on n’a aucune assurance que cet argent va à l’investissement, à la formation, à l’emploi, au développement des territoires. Or, il y aurait la possibilité de créer une banque spécifique pour l’environnement et le développement social, qui tiendrait nos services publics. Car une des questions qui est posée actuellement, notamment par les Gilets jaunes, c’est le maintien des services publics. C’est un facteur d’égalité. On voit bien ce qui se passe dans nos collectivités locales, nos hôpitaux, le transport… Tout cet argent-là devrait aller aux services publics, à leur rénovation, à leur démocratisation ; ça devrait aller au progrès social et à la transition environnementale. À ce tarif-là, on commencerait un petit peu à changer le paysage ».
Un petit mot sur la situation de L’Humanité et de ses 175 salariés, que vous dirigez.« La situation est extrêmement difficile au sens où nous sommes en redressement judiciaire. Nous menons une campagne de collecte de dons et de souscriptions pour assurer notre trésorerie pendant toute la période d’observation, qui va durer jusqu’au 7 août. Nous sommes aussi en train de construire un plan de redressement sur la base d’une conquête plus large de lecteurs et d’abonnés parce qu’il y a la possibilité aujourd’hui de développer L’Humanité, mieux sans doute que nous l’avons fait les années précédentes. Mais au-delà de nous, il y a une question de pluralisme, de démocratie qui nous est posée à tous. Presse nationale, presse magazine, presse régionale… C’est notre diversité qui fait la démocratie. Cette richesse est absolument indispensable pour que les gens puissent avoir des informations fiables sur lesquelles discuter afin de se faire leur propre opinion ».